« Suis-je a-mental ? »

 

4ème article de la série On m’appelle handicapé

Handicapé, personne handicapée, personne avec un handicap mental, personne mentalement handicapée, personne en situation de handicap, personne en quelle situation de handicap ? Me nommer est un casse-tête. Et moi, je ne peux pas participer à la discussion. Avec la folie, donc la maladie mentale, – d’ailleurs quelle est la différence entre maladie mentale et handicap mental ou, tout court, entre maladie et handicap ? -, ma condition de vie, ma « forme de vie » (« Lebensform ») dirait Wittgenstein, est la seule où moi comme premier concerné suis exclu du débat. Pour le Code civil suisse je fais partie de ceux qu’il nomme « interdits ». Je n’ai pas voix au chapitre. Je ne suis pas raisonnable. Suis-je déraisonnable, ai-je une autre raison, une autre logique, suis-je irrationnel ? « Amentes sunt isti – ils sont fous », disait Descartes de gens comme moi et a ainsi clos le débat, ou presque. Foucault[1] y voyait le commencement de l’exclusion et de l’enfermement qui sont les nôtres jusqu’à ce jour, Derrida l’a contesté, ce qui les a amenés à se disputer. Vous voyez, à quoi nous sommes bons et utiles, nous les « amentaux » ou « démentaux ». Nous poussons toutes les disciplines à leurs limites, la médecine, les soins, l’éducation et même la philosophie. Avons-nous une autre culture, différence ou altérité ?

 

« Il est différent », disent certains. C’est juste et faux, au même temps. C’est déjà juste parce que nous sommes tous différents les uns des autres. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle on le dit. On le dit pour dire : « Il n’est pas comme nous, il n’est pas normal », comme Descartes l’a déjà fait à sa manière. Quels sont alors les critères qui font la différence ? L’appartenance à l’espèce humaine ? Alors je suis comme tout le monde. La raison, la capacité de raisonner, d’argumenter, de me défendre, d’être d’accord ou en désaccord avec les autres, la faculté de prendre distance par rapport à ce que je vis et subis, de dépasser les émotions et les sentiments, d’avoir un moi, d’être conscient de moi-même, de mon « self » ou « Selbst », cette capacité raisonnable qui depuis Kant ferait de moi une personne ? Je consens, j’en ai quelques problèmes. Est-ce que cela qui fait de moi une non-personne, un « monstre » ? Et je renvoie la question : serait-ce une différence qualitative ou quantitative ?

 

Si c’était une différence qualitative, donc de caractéristique, il y en aurait bien d’autres qui seraient comme moi : les enfants, ceux qui sont inconscients, dans le coma par exemple, un bon nombre de vieux, tous ceux et celles qui sont atteints par la démence, un bon nombre des malades mentaux et bien d’autres encore, en tout cas temporairement. Ne seraient-ils pas ou plus des personnes non plus ? Et le sommeil, fait-il de nous tous des non-personnes ?

 

Si c’était une différence quantitative, entre des mêmes, vous auriez le problème de la limite : qui serait d’un côté et qui de l’autre, à partir de quel QI ? L’indépendance ? Au moins c’est une mesure pratique et pragmatique, et l’État l’utilise comme critère : la capacité de pouvoir mener sa vie[2]. Mais combien sont-ils à ne pas y arriver, sans qu’on les mette sous tutelle ?

Armin Kressmann 2011 ; On m’appelle handicapé 4

< « En situation de handicap mental ? » Non !

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[1]L’histoire de la folie à l’âge classique

[2]

« Sera pourvu d’un tuteur tout majeur qui, pour cause de maladie mentale ou de faiblesse d’esprit, est incapable de gérer ses affaires, ne peut se passer de soins et secours permanents ou menace la sécurité d’autrui. » (Code civil suisse, Art. 369)

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