3ème article de la série On m’appelle handicapé
C’est vrai, je ne peux pas le nier, la situation dans laquelle je me trouve a aussi quelque chose à faire avec moi-même, mon mental, mon intelligence, ma capacité de discernement. Je ne comprends pas tout et j’ai de la peine à voir les conséquences de mes actes et de mes paroles. Je peux compter jusqu’à trois, même si je ne le dis pas, un, deux, trois, puis tout est beaucoup. Le passé c’est hier et l’avenir c’est demain. Tout est hier, aujourd’hui ou demain. Hier c’était les vacances d’été chez mes parents, demain c’est Noël ou la fête de l’institution, et mon anniversaire, c’est toujours demain ou, encore mieux, aujourd’hui. Ce qui compte, ce qui me fait peur ou me réjouit, fait mon temps et lui donne du sens. Ce sont les événements qui comptent. La montre, même si je peux lire les chiffres, je ne sais pas ce qui est avant et ce qui est après et ce que veut dire attendre encore deux heures. Le soir je vais dormir quand le soleil va dormir, – même si maman m’a dit que le soleil ne va pas dormir, mais « se couche ».
J’ai donc un déficit intellectuel, disent-ils. Mais mon handicap, ce n’est pas mon déficit intellectuel. Mon handicap, c’est quand on me met dans une situation où mon déficit intellectuel me pénalise, me défavorise, me panique et m’angoisse, quand on veut quelque chose de moi et je ne vois pas quoi, quand je veux me coucher, mais le soleil ne veut pas encore, quand on me réprimande et je ne sais pas pourquoi, quand j’ai voulu bien faire et j’ai fait tout de travers. Alors là, je me trouve en situation de handicap.
Cependant, quand on dit que je suis « en situation de handicap mental », c’est de nouveau mon mental qui, semble-t-il, pose problème, alors moi qui pose problème, moi qui suis le problème. Et tout ce qu’on a voulu corriger, ne plus nous stigmatiser, nous les idiots d’autrefois, est de nouveau perdu. Vous comprenez ?
Armin Kressmann 2011 ; On m’appelle handicapé 3