« Maman, qu’est-ce qu’il a, le monsieur ? ».
La question bien connue posée par l’enfant à sa maman devant une personne handicapée suscite souvent une réponse qu’on pourrait aussi qualifier de classique :
« Ne regarde pas, il est différent. »
Sont-ils vraiment différents ? Et si oui, est-ce une différence quantitative ou qualitative, c’est-à-dire une différence de degré de caractéristiques communes à tous les êtres humains ou, les personnes gravement handicapées, polyhandicapées ou avec diagnostic multiple, autistes ou psychotiques, ont-elles des qualités et caractéristiques propres, supplémentaires ou absentes, qui font que leur humanité ou personnalité ne peut plus être reconnue dans ce qui est commun aux humains ?
Le regard que nous portons sur autrui peut suivre l’une ou l’autre de deux logiques : celle du même ou du semblable, – la logique de la « mêmeté » -, ou celle de l’autre, – la logique de l’altérité. En fonction du statut qu’ont ces deux logiques pour nous, – le même ou l’étranger, comment percevons-nous l’un et l’autre, positivement, négativement, auquel des deux donnons-nous la préférence ? -, les conséquences pratiques diffèrent. Mais nous pouvons construire notre conception du handicap sur l’une ou l’autre de ces deux logiques, et l’attitude ou la posture qui en découle à son égard et à l’égard des « personnes handicapées », en situation de handicap, peut être positive ou négative, et cela dans les deux cas.
Quand asymétrie il y a, le principe de mêmeté peut conduire à l’indifférence et à la passivité, donc à la négligence, comme, au contraire, à des efforts d’égalisation, – donc à une volonté de changer les conditions qui mènent à l’asymétrie, ce qui est à la source même du terme « handicap » -, et à l’autonomisation des personnes défavorisées. Le principe d’altérité peut conduire à l’exclusion comme au dialogue, au désintérêt comme à l’entraide.
L’attitude à l’égard des « personnes handicapées » peut donc être déclinée en un premier temps à travers trois axes :
1. Un axe psychologique : une attitude positive à leur égard, acceptation et accueil, ou une attitude négative, une inquiétude, voir du rejet
2. Un axe philosophico-théologique : sur une base de mêmeté ou une base d’altérité ; cet axe, dans sa formalisation concrète, sa phénoménologie, nous amènera aussi à la distinction entre l’institutionnel et le spirituel, ou la loi et la foi
3. Un axe politique : une volonté de maintenir, d’aggraver, de corriger, de compenser ou, au contraire, d’éliminer l’asymétrie
Cela nous conduit à des principes éthiques qui visent des objectifs différents, plus ou moins dramatiques pour les personnes en situation de handicap :
Attitude à l’égard des personnes handicapées | Mêmeté | Altérité |
Positive avec maintien de l’asymétrie | Autodétermination | Bienfaisance |
Positive avec dépassement de l’asymétrie | Autonomisation | Initiation |
Négative avec maintien de l’asymétrie | Indifférence | Exclusion |
Négative avec dépassement de l’asymétrie | Conditionnement ou extermination[1] ? | Eugénisme[2] ? |
.
A ce canevas s’ajouteront au moins deux autres axes :
4. Un axe bio-psychique attentif à la « constitution » des personnes en situation de handicap elles-mêmes : travaillera-t-on sur leurs besoins[3] ou sur leurs « capabilités »[4] ?
5. Un axe social attentif à l’environnement : est-ce qu’on en tiendra compte ou non dans la « construction » ou la « production » du handicap ?
« C’est la différence que tous évoquent, mais dans le même temps, une ressemblance profonde et incontournable ; ils ne sont pas comme nous et pourtant ils sont nos semblables. » (Colette Assouly-Piquet et Francette Berthier-Vittoz ; Regards sur le handicap ; Hommes & Perspectives, Paris 1994, p. 72)
Armin Kressmann 2010
[1] Quand l’autre qui ne veut à tout prix pas devenir un même disparaît ne restent que des mêmes ; faire disparaître l’autre pour que ne reste que le même (ce qui peut aussi se présenter comme eugénisme).
[2] Faire disparaître l’autre « pour son bien ».
[3] Rawls, Maslow, Rosenberg, Fröhlich, etc.
[4] Sen, Nussbaum