La transfiguration comme pratique réflexive – réflexion sur l’atteinte à la dignité humaine

Dans une lecture moderne, le récit de la transfiguration, la métamorphose de Jésus (évangile selon Marc, chapitre 9), décrit ce que nous appelons aujourd’hui une pratique réflexive. Le changement de perspective qui s’impose aujourd’hui, – la relecture des miracles sans « effets spéciaux », sans événements d’ordre sur- ou supranaturel -, nous mène à voir dans ce texte une transformation des disciples à la lumière du Christ. Ce n’est pas Jésus qui est transfiguré, – qui change physiquement son aspect, comme le texte l’induit -, mais ce sont les disciples qui sont transfigurés, Pierre, Jacques et Jean. Ce que nous appelons transfiguration est une invitation à changer de perspective. Les disciples sont invités à voir dans leur ami la gloire de Dieu et, en conséquence, la voir en tout être humain. Dans notre langage d’aujourd’hui, il s’agit de la dignité humaine.

La transfiguration est la partie réflexive d’une pratique réflexive.

Quelle est donc la partie pratique ?

La guérison de l’enfant épileptique et aphasique est la pratique d’une pratique réflexive.

Elle s’enchaîne au texte de la transfiguration proprement dite, elle en est une conséquence directe, en un premier temps inaccessible aux disciples,

« ils n’en ont pas eu la force » (Marc 9,18).

La transfiguration comporte ainsi cet ensemble composé de trois parties principales :

La métamorphose de la vision du Christ Marc 9,(1)2-10 La gloire de Dieu en Jésus La dignité humaine en Jésus de Nazareth La ré-flexion d’une partie réflexive « Celui-ci est mon Fils bien-aimé. »
Le dialogue sur Elie Marc 9,11-13 Dialogue sur l’atteinte à la dignité humaine :« Souffrance et mépris »
La « guérison » de l’enfant épileptique et aphasique Marc 9,14-29 La gloire de Dieu en tout être humain Sa propre dignité La pratique (flexion) d’une pratique réflexive « Je t’ai amené mon fils. »

Cet ensemble est entouré par l’annonce de la croix et de la résurrection (Marc 8,31-33 et Marc 9,30-32), qui donne le cadre d’interprétation à la question de la « suivance » (sequla[1]) du Christ (Marc 8,34 ; « Si quelqu’un veut venir à ma suite … », à la suite de celui qui vient d’être reconnu comme « Christ », Marc 8,27-30). L’enjeu principal, ce que vise le texte, pivot de l’ensemble de l’évangile selon Marc[2], est un changement de perspective, une transformation profonde qui prend son temps[3] et ne va pas sans heurts[4].

La guérison est une transfiguration qui manifeste la gloire de Dieu, c’est-à-dire la dignité humaine, en tout être humain, quel qu’il soit, épileptique, aphasique ou tout autre chose. La guérison est une changement de perspective, du regard porté sur autrui, quel qu’il soit. Le considérer comme « œuvre de Dieu » (l’aveugle né en Jean 9,3) est le secret du miracle de guérison.

Par conséquent, être en situation de handicap n’est pas être malade. Il faut, j’insiste, combattre la médicalisation du handicap, dans sa forme de « pathologisation ». Malheureusement, être en situation de handicap est être exposé au risque d’être rendu malade. Le « trisomique », comme archétype, la personne trisomique, est trisomique[5]. Elle n’est pas malade. En théologie chrétienne, « elle est créée trisomique », ce qui veut dire à considérer comme don, création, œuvre de Dieu, invitation à changer de perspective et de voir en chaque être humain la « gloire de Dieu ». C’est ça le sens des miracles de guérison, et ne pas le faire témoigne d’un « esprit impur », collectivement impur, esprit à « exorciser ». « Chasser » un tel esprit collectif malsain, qui est « légion », est le sens des miracles d’exorcisme.

Miracle est ainsi sauvegarde et rétablissement de l’intention de ce qui veut dire « création » :

 « … wonder in Mark is a response to the divine intervention of the breaking-in of the kingdom or rule of God in power to save and restore the creation.”[6]

Miracle est concevoir l’étant comme fait, – mais pas forcément tous les faits, au contraire (cf. infra) -, comme donnée, le “trisomique” en tant que trisomique comme don, “créé trisomique”. Miracle est la reconnaissance (relèvement, résurrection) du « fou » avec sa folie, du « trisomique », avec sa trisomie, en tant que trisomique :

 « Die Verachteten stehen auf »[7], les méprisés se mettent debout.

La question n’est donc pas : garder ou pas garder un enfant trisomique (avant qu’il soit là) ?

La question, l’enjeu est de pleinement accepter et reconnaître un enfant qui est trisomique, quand il est là ! Il s’agit de reconnaître et respecter son « Dasein ». Le miracle est l’acceptation et le respect de ce « Dasein », et de son « So sein », quand il est là, son « être là » et son « être ainsi » comme don de Dieu, enfant de Dieu (« fils bien-aimé », cf. supra), création, divin.

Qui es-tu ?

« Quel est son nom ? – que leur dirai-je ? »

Celui qui est là !

« Je suis qui je suis – je serai qui je serai » (Exode 3,14)

Le miracle est reconnaître un certain fait, non pas reconnu en tant que tel, comme don (création), expression d’une volonté (divine) et agir en conséquence, sans changement du fait et sans volonté de le changer, ce qui, pour l’enfant en situation de handicap, épileptique et aphasique, change les faits, en effet.

La pointe visée, le front polémique est « l’esprit impur, muet et sourd » (Marc 5 et 9) qui n’écoute pas, – « Écoutez-le ! » (Marc 9,7) -, qui « méprise et fait souffrir » (Marc 9,12).

Le front polémique est notre ignorance et notre manque de volonté :

« Génération incrédule … jusqu’à quand aurai-je à vous supporter ? » (Marc 9,19).

Et les pires sont les disciples : « ils n’ont pas la force » (Marc 9,18), l’Église et les gens de l’Église, qui attendent que Dieu change les faits et qui appelle cela « foi ».

Armin Kressmann 2012


[1] Caroline Runacher ; Croyants incrédules ; cerf, Paris 1994 ; oui, l’enjeu est la foi des disciples, figures du croyant en général

[2] Pierre-Yves Brandt ; L’identité de Jésus et l’identité de son disciple ; Editions Universitaires ; Fribourg 2002 ;

« On peut … conclure que la Transfiguration joue un rôle de pivot. … elle ouvre pour le lecteur l’attente d’un changement d’attitude chez ceux qui ont vu. » p. 204

[3] Voir l’incompréhension des disciples (9,10 ; 9,32)

[4] Marc 8,32-33 « Derrière-moi, Satan » ; 9,18.19 « Génération incrédule »

[5] « Je suis mongolien. Je ne suis pas malade. » Je prends ce témoignage comme expression de la « Krüppelbewegung ».

[6] Timothy Dwyer ; The Motif of Wonder in the Gospel of Mark ; Journal of the Study of the new Testament, Supplement series 128 ; Sheffield Academic Press, Sheffield 1996, p.198

[7] Carsten Jochum-Bortfeld

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