Suite à tout ce que j’ai dit sur les miracles comme changement de perspective,
« Le miracle est la transformation du regard, assumée en actes et en paroles, dont l’ensemble peut être appelé ‘respect’, respect de l’autre dans sa singularité. »,
nous devons aussi revisiter la « transfiguration » et la « résurrection », deux récits bibliques fondateurs de la foi chrétienne.
La transfiguration (évangile selon Marc, chapitre 9) est la métamorphose de Jésus, moment fort où ses trois amis, Pierre, Jacques et Jean, sur une haute montagne, le voient changer d’aspect, où ils voient en cette homme, humain comme nous, la gloire de Dieu.
Nous pouvons, et nous devons aujourd’hui, relire ce texte autrement que d’habitude, en nous disant, avec audace et humilité, que Jésus n’a pas changé d’aspect, physiquement, là haut, sur la montagne.
Si Jésus n’a pas changé d’aspect, physiquement, mais si nous voulons quand même écouter ce que la bible nous dit, qu’est-ce qui s’est transfiguré ?
C’est le regard de ses amis qui a changé.
Ils voient en Jésus la gloire de Dieu. On dirait, ils voient en Jésus la dignité humaine, pleinement, ils voient en lui, entièrement, ce qui, en nous, est parfois caché. Cependant, même caché, ce quelque chose est là, en tout être humain, sans exception.
Une fois reconnu cela, une fois reconnue la dignité humaine de tout être humain, quel qu’il soit, et quoi qu’il fasse, miracle est possible, même évident, transformation, transfiguration, métamorphose, et déjà annonce de résurrection.
Nous ne voyons plus celui qui boîte, qui bégaie, qui « dysfonctionne », qui n’entend pas ou qui ne voit pas, qui en souffre, qui peine et qui s’en plaint, mais quelqu’un qui chemine et vit sa vie comme nous, un alter ego. Nous ne le voyons plus à partir et à travers son handicap. Il n’y a plus de « handicapé », mais une personne libre comme nous, aspirant à la même liberté que la nôtre, quelqu’un avec qui je peux croiser le regard, et échanger un sourire et quelques mots. Et davantage peut-être … Nous ne voyons plus un être angoissé par la vie, touché par la maladie, un être qui se fait mal et, en se faisant mal, fait mal à ceux et celles qui l’aiment, mais nous voyons quelqu’un de fier, de ce qu’il fait et de ce qu’il est, fier de lui-même. Nous ne voyons plus celui qui veut être comme les autres, mais nous voyons celui qui est comme tous les autres.
Nous voyons celui qui est là haut, sur la montagne, avec Dieu, défiant Dieu, discutant avec lui, en accord ou en désaccord avec lui, comme Moïse, comme Elie …
Et peut-être nous entendons cette voix qui dit :
« Celui-ci est mon fils bien-aimé. Ecoutez-le ! » (Marc 9,7)
Mais c’est dans la nuée …
« Aussitôt, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus, seul avec eux. » (Marc 9,8)
Il faut donc descendre de la montagne. Il faut revenir à la vie, telle qu’elle est, affronter la réalité, parfois dure, souvent dure, toujours dure quand il y a handicap, tous habités par la question qui est celle des amis de Jésus, la question de la résurrection :
« Qu’est-ce que se relever d’entre les morts ? » (Marc 9,10)
Si nous faisons avec la question de la résurrection comme nous l’avons fait avec celle de la transfiguration, si nous ne demandons plus un changement des faits, si nous n’attendons pas que celui qui est en situation de handicap soit guéri, comme ça, celui qui est mort ressuscite, comme ça, mais appliquons ce qui est dit à nous-mêmes, la réponse à la question « Qu’est-ce que se relever d’entre les morts ? » nous concerne nous, chacun, chacune.
La question de la résurrection ainsi adressée et appliquée à nous, la réponse s’adresse et s’applique aussi à nous : elle s’appelle « Pâques », Pâques pour nous, Pâques encore enfouies dans le mystère et le secret de la descente de la montagne, du silence à garder en un premier temps (le secret messianique), un tombeau vide, après le passage par la croix, un vide qui nous angoisse sur le moment, mais qui est promis de se transformer en lieu de naissance nouvelle :
C’est la résurrection de tous qui est en jeu, le relèvement de tous qui nous est promis.
Et si je traduis tout ce que la bible dit à sa manière, en langage qui est le nôtre aujourd’hui, je dis :
Notre dignité n’est pas touchée, elle n’est pas atteinte, elle n’est pas abîmée ou aliénée par ce que nous faisons, ou ne faisons pas, disons, ou ne disons pas. Ce qui peut être souillé est autre chose : c’est l’image de nous-mêmes, ou celle des autres, image que nous nous faisons de nous-mêmes et image que les autres font de nous-mêmes, l’image qui peut nous « posséder » et nous hanter, « l’esprit impur » qui est « légion » qu’il s’agit de « chasser » (Marc 5).
Le noyau inaliénable que nous appelons la dignité humaine qui nous fait personne, et qui a été manifesté pleinement en Jésus Christ sur la montagne de la transfiguration, ne peut pas être aliéné ; il est préservé, malgré et contre tout ce que nous subissons, davantage, même pas par ce que nous faisons ou ne faisons pas. Dieu est trop grand pour être blasphémé.
Ce noyau nous est donné et il nous dépasse ; nous pouvons peut-être l’appeler la divinité humaine, ou l’humanitude divine, une transcendance immanente
Armin Kressmann 2012