« Nicht Probleme der Naturwissenschaften sind ja zu lösen. » (L. Wittgenstein)
Derrière le débat « Darwin contre Dieu » se cache un combat de pouvoir : dans notre société, quelle est la culture conductrice (« Leitkultur ») ? Qu’est-ce la vérité ? Qui a raison ? L’école n’a pas à trancher ; sa fonction est seulement de (re)mettre chacun à sa place. La théorie de l’évolution appartient à la biologie, le créationnisme à l’histoire de la pensée et à la théologie. Vous pouvez enseigner l’un ou l’autre, mais chacun dans sa branche, avec le recul critique nécessaire, et sans les confondre.
Qu’est-ce la vérité ?
En principe, la science ne cherche pas la vérité, mais de la connaissance ; sinon, c’est du scientisme, c’est-à-dire un réductionnisme qui veut tout expliquer par des lois de la nature. En principe, la science est modeste ; à travers l’observation, l’expérience et le raisonnement logique elle veut décrire, comprendre et expliquer, établir ses théories qu’elle ne confond pas avec la vérité si elle est honnête. Elle s’occupe de faits (« Tatsachenwissen »), faits bruts ou faits construits ou institutionnalisés (cf. John R. Searle[1]) et les organise dans des théories. Une théorie n’est pas une vérité, même si elle est vraie, en tout cas aussi longtemps qu’elle n’a pas été falsifiée, de nouveau, par l’observation ou l’expérimentation (Karl Popper[2]). La science se soumet au contrôle de la science, à l’observation, à l’expérimentation et au contrôle par les pairs.
Le créationnisme cherche la vérité. Le créationnisme est une inversion de la « science » platonicienne qui déduit d’une harmonie ou perfection mathématique des mouvements stellaires une « vérité » divine absolue (Otto Kallscheuer[3]). Cela peut se discuter, en histoire de la philosophie.
Cependant, en se donnant « scientifique », – dans le sens moderne du terme, alors pas cosmologique -, le créationnisme, dans une pensée théologique judéo-chrétienne, devient idolâtre. Par contre, le monothéisme ne cherche pas à être science (« Tatsachenwissen »), mais vérité issue d’une rencontre interpersonnelle. La bible peut être lue comme lutte constante contre des tentatives de déduire la vérité de faits cosmiques (« objectifs ou bruts ») ou de faits institutionnels (« construits »). En conséquence, le créationnisme n’est pas en contradiction avec l’évolutionnisme enseigné par la biologie (les deux sont d’un autre ordre ; ils n’appartiennent pas à la même sphère et n’ont rien à se dire l’un à l’autre, alors ne se dérange pas, sauf évidemment au niveau politique), mais avec la foi judéo-chrétienne. Il fait d’une réalité mondaine (« innerweltlich ») un absolu et ne respecte pas la transcendance de Dieu ; le problème est donc de nature théologique et une question de foi (et non pas de biologie ou de science, je répète) . Faire du récit de la création de la science est « piété mondaine » (« Weltfrömmigkeit »), alors négation de la transcendance divine, de l’altérité de Dieu, de son « absolu ». Le récit de la création « dit » Dieu autrement, autrement que scientifiquement. Ramener Dieu à la science est idolâtre. Pour le croyant, Dieu est là, au-delà du monde[4].
Qui a raison ?
Premier constat : toute forme de créationnisme fait un saut théologique, de la « révélation » ou de la foi à la raison et confond à mon avis les deux registres. Pour la philosophie et la théologie le débat est intéressant. Il faut le mener là. D’ailleurs comme celui du scientisme (devenu de nouveau d’actualité par les neurosciences).
Deuxième constat : comme théorie scientifique, l’évolutionnisme reste valable, aussi longtemps qu’il n’a pas été falsifié, scientifiquement. Toute tentative allant dans ce sens, jusqu’à présent, n’a pas été concluante. C’est à discuter en biologie, en dehors de la bible et sans elle ; à quel niveau scolaire appartient à l’école. Mais le fait qu’à des niveaux scolaires élémentaires aucune branche ne s’occupe de la pensée en soi, d’après que je sache, ne justifie pas que le créationnisme soit enseigné en biologie ou l’évolutionnisme en histoire biblique (même s’il faut mener le débat quand il y surgit).
Armin Kressmann 2008
Bibliographie
Darwin, Charles ; Die Entstehung der Arten, Reclam, Stuttgart 2005
Euvé, François; Penser la création comme jeu, cerf, Paris 2000
Kallscheuer, Otto; Die Wissenschaft vom Lieben Gott, Eichborn, Frankfurt 2006
Popper, Karl R. ; Logik der Forschung, Mohr, Tübingen, diverses éditions
Searle, John R. ; La construction de la réalité sociale, Gallimard, 1998
Wittgenstein, Ludwig ; Tractatus logico-philosophicus; in : Wittgenstein, dtv, München 2001
Le débat
Arnould, Jacques ; Les créationnistes, cerf, Paris 1996
Arnould, Jacques ; La théologie après Darwin ; cerf, Paris 1998
Arnould, Jacques ; Dieu versus Darwin ; Albin Michel, Paris 2007
Ruse, Michael ; The Evolution-Creation Struggle, Harvard University Press, Cambridge 2005
Gould, Stephen J. ; Darwin et les grandes énigmes de la vie; Seuil 1997
Gould, Stephen J. ; Et Dieu dit : “Que Darwin soit!”, Seuil 2000
Stenmark, Mikael ; Scientism, Ashgate, Aldershot 2001
[1] John R. Searle ; La construction de la réalité sociale, Gallimard, 1998
[2] Karl R. Popper ; Logik der Forschung, Mohr, Tübingen, diverses éditions
[3] Otto Kallscheuer, Die Wissenschaft vom Lieben Gott, Eichborn, Frankfurt 2006, p. 161
[4] Ludwig Wittgenstein : « Die Lösung des Rätsels des Lebens in Raum und Zeit liegt ausserhalb von Raum und Zeit. (Nicht Probleme der Naturwissenschaften sind ja zu lösen.) », Tractatus logico-philosophicus 6.4312 ; en tant que théologien je partage cette vision venant d’un éminent philosophe.