J’ai commencé mon étude du récit de « guérison d’un enfant épileptique » (Marc 9,14-29) avec quelques axiomes et postulats. Je disais :
« … ce texte n’a rien à faire avec de la science, tout en reprenant d’une manière détaillée et précise la phénoménologie d’un enfant épileptique et aphasique, ainsi que la détresse morale de son père. Il ne s’agit pas de guérison physique et psychique d’une épilepsie sévère.
Malgré tout, il s’agit d’un miracle et nous devons l’entendre et traduire dans notre pratique … »
et je suis arrivé au constat :
La transfiguration, – du père, du fils et de Jésus (voire du Père) -, est le miracle !
Le regard porté sur la structure du texte a mis en évidence la question de « Pierre, Jean et Jacques », donc celle que se pose toute personne à l’égard de l’œuvre de Dieu accompli en Jésus de Nazareth :
« Qu’est le des morts se relever ? », la question du mystère de la résurrection.
Lors d’une célébration à l’Institution de Lavigny, aussi des personnes en situation de handicap se sont positionnées contre toute sorte de naturalisme ou supranaturalisme.
Je reprends maintenant, librement, à partir des commentaires d’André Chouraqui[1] et Joachim Gnilka[2] :
- v. 14-16 Transition
- v. 17-19 L’échec des disciples
- v. 20-24 Dialogue entre le père et Jésus
- v. 25-27 La « guérison »
- v. 28.29 Épilogue
v. 14 Une dispute
v. 15 La crainte, un étonnement qui frise la consternation :
« Certains doivent trembler de le voir (Jésus) apparaître à nouveau pour des raisons de simple sécurité. Qu’il recommence à leur faire entendre qu’il se prépare à jeter à la mer les légions et leur diable … »
cf. 5,9 « légion est mon nom «
5,11 « Il se trouve que la Dixième Légion avait pour emblème un porc. … (elle était) chargée de maintenir l’ordre dans la région … la pax romana. »
La rencontre avec Jésus provoque de la crainte, encore aujourd’hui :
Une remise en question
- du pouvoir
- de l’ordre public
- de l’ordre ecclésial
- de la foi personnelle (et si ce n’était pas celui que je croyait ? s’il ne correspondait pas à l’idée que je me faisais de lui et de ce qu’il devrait faire selon moi ?)
Ainsi, le texte lui-même et sa compréhension sont déstabilisés :
Qui est mis debout (ressuscité) ?
Et qui met debout ?
En suit, par rapport à la « tradition », une récupération par le pouvoir :
- par l’Église (les églises et leurs dogmatiques ; pour la « bonne lecture » de la bible et de ce passage en particulier)
- par l’État, indirectement, l’impératif absolu de la séparation des pouvoirs entre le privé et le public (la « privatisation » absolue de la foi et l’exigence adressée aux églises de ne pas se mêler de la politique)
Notre texte met en évidence et en question toute les sortes de pouvoir, aussi et surtout celui de l’Église (par ce que Gnilka appelle le « Jüngerversagen »). Cependant, ce qui « politiquement et ecclésialement » devrait en suivre, les issues et les solutions pratiques, n’est pas défini. Il s’agit d’une libération sans nouvel enferment dans un nouvel ordre : le Royaume, soumis, comme l’ensemble des textes qui entourent et incluent notre passage, au secret messianique. La croix, la souffrance (de l’enfant et du père), est la seule visibilité « positive ». L’interpellation se fait dans le registre de l’éthique (en lien avec le politique sans se confondre avec lui).
v. 18 L’épilepsie, dans l’Antiquité une « maladie sacré » (« heilige Krankheit ») ; par l’ampleur de la souffrance, mais aussi comme souffrance imposée par une divinité.
J’ajouterais sa dimension d’altérité.
« Im christlichen Bereich wurde die Wertung der Epilepsie als heilige Krankheit völlig aufgegeben. Sie wurde als auf Dämonen verursachte Besessenheit aufgefasst.“ (Gnilka p. 47), aussi appelée „puerilis passio“.
Malgré le fait qu’il ne soit dans notre texte jamais question de „démon“ ou de « possession », mais toujours « d’esprit » (ou de « genre »), avec des attributs divers (muet, sourd, impur), donc de « pneuma », – alors du même terme que celui utilisé aussi pour le souffle ou l’esprit de Dieu -, encore les bibles « modernes » sont ancrées dans cette pensée « démoniaque » :
« Guérison d’un enfant possédé » (TOB, Traduction œcuménique de la bible)
« Die Heilung eines besessenen Knaben » ((Zürcher Bibel)
» Jésus guérit un enfant démoniaque » (La Bible Second)
Déjà ce fait devrait nous mettre sur la piste d’une enquête sur l’esprit à chasser …
v. 23 La toute-puissance de Dieu (10,27 « tout est possible à Dieu ») passe à celui qui croit (11,23[3]).
« Tout est possible à celui qui croit. »
Au lieu de déplorer l’impuissance (qui d’ailleurs est souvent instrumentalisée par le pouvoir, aussi et surtout ecclésial, et récupérée comme toute-puissance, l’État, le « magistère », les média, l’économie, etc.), nous ferions mieux de nous demander en quoi consiste concrètement, aujourd’hui et ici, la puissance de la foi et accueillir ce que le Christ nous lègue et invite explicitement à reprendre.
Ce qui veut dire, à partir de la réalité qui est la nôtre aujourd’hui, relire ce texte, et les autres, et en tirer les conclusions « modernes »[4] :
Que pouvons et devons-nous faire ?
« Mettre debout »
Qui agit, quand nous mettons debout ?
Dieu, un autre, pas moi – Soli Deo gloria
Quelle guérison ?
Une guérison spirituelle, symbolique, – dans le sens fort du terme, articulée avec notre foi en l’autre -, et institutionnelle (non pas physique, naturelle, scientifique, mais « posée » comme acte de foi et rendue visible et manifeste, « sacramentelle »).
Mais si c’était physique et à prendre au premier degré ?
Alors la question à poser : qui ou quoi « guérir » ? La mise en question de l’ordre dominant, – des institutions dominantes !
Au niveau politique ?
Du pouvoir, non
De son éthique (ou morale), oui
Pourquoi pas le pouvoir (politique) ?
Parce que le secret (silence) messianique persiste :
Ce qui est visible et manifeste, trop manifeste, n’est que la souffrance (la croix). Le reste, la résurrection, est caché : théologie négative.
Donc, pas d’impact politique ?
Si, mais seulement pour ceux et celles qui « croient », « adhèrent » (et on ne les connaît pas, donc pas à confondre avec les membres des églises[5])
Résultats :
« Génération incrédule » (v. 19) « Jusqu’à quand aurai-je encore à vous supporter ? »
Quel esprit à chasser ?
« Ce genre (d’esprit » (v. 29) et « Rien ne peut le faire sortir, que la prière. »
Et « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi » (v. 24)
La foi, aujourd’hui, est l’enjeu.
« Mind map » de la prédication Marc 9,14-29 du 15.7.12, devant une assemblée de personnes épileptiques et aphasiques pour un bon nombre (Chapelle de l’Institution de Lavigny)
Armin Kressmann 2012