C’est le regard sur un fait qui fait de ce fait un miracle

« C’est le regard porté sur un fait qui fait de lui un miracle, et non pas l’objectivité du fait en lui-même » disais-je dans mon article « Miracle et prodige ».

Avec Wittgenstein je dis volontiers que l’ensemble des faits fait le monde :

« Die Welt ist die Gesamtheit der Tatsachen, nicht der Dinge. »

Tractatus logico-philosophicus 1.1

« Le monde est la totalité des faits, non des choses »,

dans la traduction de G. G. Granger, Gallimard 1993

C’est dans ce monde, cet ensemble des faits qu’a lieu le miracle, comme fait, fait du monde. Ce n’est que dans le miroir du regard que le fait devient miracle, fait étonnant :

mirus (latin), « étonnant »

mirari, « s’étonner »

miraculum, « chose étonnante »

Fr. mirer, miroir, miroiter …

Esp. mirar, « regarder »

Dictionnaire des racines des langues européennes, Larousse, Paris 1949

Le regard est au-delà du fait, il transcende le fait et devient fait nouveau. C’est l’évangéliste, donc la foi, qui fait d’un fait un miracle, fait nouveau et étonnant. Ainsi miracle a lieu et devient monde, fait du monde et dans le monde.

Je reviens à mes hypothèses de travail sur les miracles, où j’avais écrit :

– Un miracle est un événement extra-ordinaire.

– Mais les miracles ne sont pas des événements supranaturels.

– Un miracle est reconnu par la foi, non pas par la raison.

… et je dirais maintenant que le miracle est un événement extraordinaire dans l’ordinaire qu’est le monde : c’est le regard de la foi qui rend visible et extraordinaire comme miracle ce qui pour un autre regard est ordinaire et se laisse expliquer par la raison à l’intérieur du monde que sont les faits du monde. La chose en soi n’a rien à dire : das Ding an sich schweigt. Quand il me parle, c’est moi qui parle. Le miracle, c’est moi :

« Die Grenzen meiner Sprache bedeuten die Grenzen meiner Welt. »

Wittgenstein, Tractatus 5.6

« Les frontières de mon langage sont les frontières de mon monde.« 

Le monde est le miracle, non pas comme il est, en soi, mais en tant qu’il est et comment il est, pour le chrétien, dans la foi en Jésus Christ. Le monde en soi n’a pas de sens ; le sens du monde est hors monde, il le transcende.

« Der Sinn der Welt muss ausserhalb ihrer liegen. In der Welt ist alles, wie es ist, und geschieht alles, wie es geschieht ; es gibt in ihr keinen Wert – und wenn es ihn gäbe, so hätte es keinen Wert.

Wenn es einen Wert gibt, der Wert hat, so muss er ausserhalb alles Geschehens und So-Seins liegen. Denn alles Geschehen und So-Sein ist zufällig.

Was es nichtzufällig macht, kann nicht in der Welt liegen, denn sonst wäre dies wieder zufällig.

Es muss ausserhalb der Welt liegen. »

« Le sens du monde doit être en dehors de lui. Dans le monde, tout est comme il est, et tout arrive comme il arrive ; il n’y a en lui aucune valeur – s’il y en avait une elle serait sans valeur.

S’il y a une valeur qui a de la valeur, elle doit être extérieure à tout ce qui arrive, et à tout état particulier. Car tout ce qui arrive et tout état particulier est accidentel.

Ce qui le rend non accidentel ne peut être dans le monde, car ce serait retomber dans l’accident.

Ce doit être hors du monde. »

Wittgenstein, Tractatus 6.41

« An einen Gott glauben heisst, die Frage nach dem Sinn des Lebens verstehen.

An einen Gott glauben heisst, dass es mit den Tatsachen der Welt noch nicht abgetan ist.

An einen Gott glauben heisst sehen, dass das Leben einen Sinn hat. »

Wittgenstein, Tagbuchaufzeichnungen 8.7.1916 ; Wittgenstein, dtv, München 2001, p. 170s

Revenons maintenant à Walter Schmithals ; ce que nous venons de dire, est-ce compatible avec son affirmation quand il dit :

« Im Wunder selbst soll Sinn gefunden werden. »

Walter Schmithals ; Wunder und Glaube, Neukirchen 1970, p. 24

Armin Kressmann 2010

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2 réflexions au sujet de « C’est le regard sur un fait qui fait de ce fait un miracle »

  1. Bonjour,

    Je travaille sur un article qui emprunte -en anglais- le mot « worlding » à Wittgenstein. Je n’arrive pas à trouver le mot original en allemand pour ensuite le chercher en français. Pouvez-vous m’aider?
    Merci d’avance!

  2. Sans pouvoir vous donner une réponse précise, – autant le mot « worlding » (mondialisation, globalisation ?) m’échappe que le contexte me manque -, je pense à « Verweltlichung » (sécularisation) et « Entweltlichung » (Bultmann : Der Glaube entweltlicht ; Heidegger), le concept « Lebenswelt » (Husserl ; constructivisme) … Wittgenstein ? « Die Welt ist alles, was der Fall ist » (Tractatus 1) ?

    Cordialement.

    Armin Kressmann

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