Matthieu 4,12-23 ; le texte (TOB)
(avec la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) ; André Chouraqui ; Matyah, Evangile selon Matthieu ; JClattès, 1992 ; Pierre Bonnard, L’Évangile selon Saint Matthieu, Labor et Fides, Genève 1982)
v. 12 Jean-Baptiste est « livré », comme sera livré Jésus, « selon le dessein de Dieu » (TOB)
Quelles sont la part humaine et la part divine dans ce fait « d’être livré » (à l’ennemi, au destin, à soi-même, aux autres …) ? Question générale de la prédestination et, en conséquence, de la responsabilité humaine. Je dirais : en connaissant ses enfants, tout en leur laissant toute leur liberté, le père (et encore mieux la mère), anticipe ce que les enfants vont faire dans une situation concrète. La question se déplace donc : Dieu, pourquoi intervient-il ou n’intervient-il pas ? Ou encore : comment intervient-il, quand il intervient, en vue de quoi n’intervient-il pas ? En vue du règne ou du royaume, de la guérison (v. 23 ; et non pas les buts « mondains » des tentations qui précèdent notre passage, v. 1-11) ?! Alors, guérison de qui et à quel prix ? Jean-Baptiste est livré et tué (!) … se dessine (« dessein ») la croix … et la résurrection.
En conséquence : Dieu, au niveau de la guérison « de toute maladie et de toute infirmité » (v. 23), ne va changer les règles de son dessein qu’est la création (aussi de la liberté humaine), mais assumer, porter lui-même les conséquences. Il va « suivre » (v. 20.22) lui-même son fils en son fils. La posture est décrite en ce qui suit (!), les « Béatitudes ».
« Jésus se retire en Galilée », retrait devant un danger.
« La population y était extrêmement mêlée. » (P. Bonnard) … « Galilée des Nations » (v. 15)
« La Galilée était alors un lieu de refuge des réfractaires ou des exilés venus des différents pays occupés de la région. » (A. Chouraqui)
v. 13 « Zabulon et Nephtali » …
« Matthieu évoque tout un passé extrêmement significatif : deux anciennes tribus idraélites, annexées par l’Assyrie en 734, aux quelles le prophète annonçait la délivrance que Matthieu voit maintenant se réaliser dans le ministère de Jésus ; il ne s’agissait pas seulement, dans Esaïe 8 et 9, d’une délivrance militaire et politique, mais des ‘ténèbres’ et de l »angoisse’ dues au fait que ces anciennes tribus étaient complètement investies et pénétrées par des populations païennes. » (P. Bonnard, p. 48)
« aux confins de … » (P. Bonnard), « aux frontières » (A. Chouraqui), donc l’entre-deux, ce qui nous renvoie aujourd’hui au contexte interreligieux qui est notamment celui du Sud-Ouest lausannois, avec la différence, suite à l’universalisme du message de Jésus (« toute maladies et toute infirmité » du v. 23, « les foules » v. 23-25, puis le sermon sur la montagne qui suit), que ce qui à l’époque pouvait être compris comme polémique est maintenant interpellation, au-delà du « simple » œcuménisme. Aussi, comme à l’époque, le contexte n’est pas seulement religieux, mais, que ça plaise ou non, aussi politique.
Jésus « quitte, abandonne Nazareth » (« zurücklassen, verlassen »), il laisse, « il abandonne sa patrie » (TOB) et se retire dans un contexte interreligieux pour y accomplir le début de son ministère.
« Jésus rejoint la Galilée et se met à prêcher. » (P. Bonnard)
Où Jésus se retirerait aujourd’hui à Lausanne ?
Quand nous parlons habituellement de retrait et de retraite, notamment face aux danger qui nous guettent, nous pensons d’abord en un lieu calme, voire isolé. Ici, dans l’évangile selon Matthieu, Jésus va au désert pour y affronter le danger (les tentations, v.1-11, « il fut conduit par l’Esprit au désert ») et se retire au monde contradictoire et animé, « en Galilée », pour éviter le danger. Engagement, prédication et ministère pour échapper au danger « d’être livré », mais engagement aussi qui « livre » finalement !
v. 15.16 Citation libre d’Esaïe 8,23-9,1 …
« Pour préciser, non seulement le lieu, mais la signification prophétique du ministère de Jésus dès son début, Mattthieu, seul, cite Es 8,23-9,1 … Ces mots caractérisent l’ensemble de l’évangile matthéen : en Galilée, Jésus s’adresse aux tribus du peuple les plus menacés par la nuit païenne, comme l’était Israël de la part des Assyriens. Par là même, ce ministère prend contact avec toutes les nations (28,19). Alors que d’autres se retirent au désert (par exemple les gens de Qumrân ou Jean-Baptiste) ou ou concentrent leur activité à Jérusalem, Jésus … choisit la Galilée des nations que Matthieu évoque tout au long de son évangile … » (TOB)
v. 16 « ténèbre » – « gehemmte Untätigkeit, gefesselte Ohnmacht » …
Une situation d’impuissance qui emprisonne la victime … l’ennemi est trop fort … pas seulement politique, plus encore dans la maladie incurable ou l’infirmité (v. 23) où se pointe … la mort :
« le sombre pays de la mort », « l’ombremort » (A. Chouraqui)
« ceux assis au pays d’ombremort, une lumière se lève sur eux »
« Salvamèt en hébreu, a souvent été interprété – à cause de sa consonance – comme renfermant le mot mavèt (« mort »), ce qui accentue ici l’intention apocalyptique du texte. Il dérive en fait de la racine salâm, désignant en hébreu comme en arabe une ombre profonde. » (A. Chouraqui)
v. 17 « à partir de »
« Jésus inaugure solennellement le ministère de sa prédication : il va se présenter en paroles (5,1-7,29) et en actes (8,1-9,34). » (TOB)
v. 18 « venez derrière moi »
v. 19 « pêcheurs d’hommes »
« En prêchant l’Évangile rassembler des hommes en vue du jugement et de l’entrée dans la Royaume de Dieu. » (TOB)
v. 20
« Dans le judaïsme du 1er siècle, le verbe suivre désignait couramment le respect, l’obéissance et les nombreux services que les disciples des rabbis devaient à leurs maîtres. En appliquant ce terme à Jésus et à ses disciples, Matthieu en transforme le sens sur plusieurs points :
- Ce n’est plus l’élève qui choisit son maître ; l’appel vient de Jésus et il lui est généralement répondu par une obéissance immédiatement.
Les disciples suivent Jésus non seulement comme auditeurs mais comme collaborateurs, témoins du Règne de Dieu, ouvriers dans sa moisson … ils s’attachent non seulement à l’enseignement, mais à sa personne.
Matthieu relève souvent que les foules suivent Jésus, indiquant par là qu’elles cherchent obscurément en lui le maître qu’elles n’ont pas trouvé chez les rabbis attitrés à la synagogue
- En un second temps, Jésus procède à une critique de cette suite … ; suivre Jésus, ce n’est rien de moins que se charger de sa croix (16,24). » (TOB)
v. 23 « l’Évangile du Règne », « l’annonce »
« Les guérisons signifient que le Règne de Dieu est à l’œuvre. » (TOB)
« toute maladie, toute infirmité » – portée universelle de l’oeuvre de Jésus.
Armin Kressmann 2014