Luc 17,11-25 La condition chrétienne – à l’horizon de la mort, une vie sur le seuil, dans l’entre-deux ; notes exégétiques et homilétiques

(avec la TOB (Traduction oecuménique de la Bible) ; André Chouraqui ; Loucas, Evangile selon Luc ; JClattès, 1993 ; François Bovon ; L’évangile selon saint Luc ; Commentaire du Nouveau Testament IIIc, Labor et Fides, Genève 2001)

v. 11 Rappel du « voyage » : « Jésus faisant route vers Jérusalem » (9,51 et 13,22), donc une nouvelle étape (17,11-19,28)

Quels sont ses caractéristiques ?

La question du Règne de Dieu et du jour du Seigneur ?

v. 12 « son entrée dans un village »

Est-ce que cela équivaut à son entrée dans le Règne de Dieu, à la lumière de 17,21 ?

Avec le Christ, vivons-nous « à l’entrée », sur le seuil ?

La liminalité ferait donc partie de la condition humaine chrétienne, une vie à « travers la Samarie et la Galilée », à l’étranger et chez nous, s’inscrivant et l’un et l’autre dans une même histoire (comme le judaïsme, le christianisme et l’Islam). Nous sommes dans l’inter-confessionnalité, voire l’inter-religiosité (cf. « un étranger » v. 18).

 … « et dix lépreux viennent à notre rencontre »

« Dix ou E’sser –  La racine a’yin/sh/r donne les dérivés de richesse et d’abondance. … Le dix correspond aux 2×5 doigts des mains … Il suffit de dix justes pour sauver le monde : c’est le chiffre minimum pour prier en groupe ; mais cette prière qui monte peut être celle d’un seul individu si celui-ci a atteint un degré supérieur de sainteté : le dix se résorbe alors dans l’unité. »1

 « Erdenfülle – Das Zahlzeichen für 10 heisst Jod und ist verbunden mit … Hand …, da wir alles aus Gottes Hand erhalten. Zehn weist auf die irdische Fülle … »2

Les dix lépreux, sont-ils donc à considérer comme une don ?

« YOD … sens originaires : main, prendre, donner … sens dérivés : démonstration, commandement, manifester, montrer, ordre impératif … multiplicité, bénédiction. »3

… une occasion de bénédiction et un commandement ; cf. ce qui précède « Le serviteur qui n’a fait que son devoir » et ce qui suit « La venue du Règne de Dieu » :

« Le Règne de Dieu est parmi vous. » (v. 21)

« Parmi nous », le Christ ou les lépreux, comme événements et mises en route, ou les deux, et le Christ et les lépreux, la « foi qui sauve » (v. 19) ?

Par rapport à la Samarie et la Galilée : à Pâques, chez Luc, il n’est pas question d’aller en Galilée. Chez lui, tout se joue déjà en Galilée, et Samarie (17,21).

« ils s’arrêtent à distance » ; autant qu’il s’agit du respect de la loi (Lévitique 13,46), aussi et surtout pour des raisons de santé publique, autant de distance par rapport à la maladie et au handicap, même sans risque de contagion biologique.

v. 13 L’invocation rappelle le cri du cœur du « Père » de 11,2 ; elle est renforcée par « maître », la seule fois chez Luc où ce terme ne soit prononcé par un disciple. « Maître » prend en conséquence une dimension universelle, comme corollaire aussi le service (17,7-10) : quel maître servir ou invoquer ?

v. 14 Le prêtre doit constater la guérison … « pendant qu’ils y allaient ils furent purifiés. »

Se mettre en route est guérison ou fait guérir : cf. les béatitudes « heureux – en marche »

Aujourd’hui, en tant que pasteurs ou prêtres, que devons-nous constater ?

Que celui qui se met en marche peut guérir ?

Qu’en Jésus Christ, toute personne malade ou handicapée est en voie de guérison ?

Le reste appartiendrait au médecin ; d’où, aujourd’hui, la fonction sacerdotale (faire passer, dedans – dehors) remise au médical (notamment aux psychiatres, auxquels on remet la responsabilité de l’internement … « à vie »).

Quel est donc le miracle de guérison ?

v. 15 Revenir et rendre gloire

Revenir sur les faits et les reconnaître.

Celui qui revient rend gloire à Dieu, puis …

v. 16 … il rend grâce à Jésus

« le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce » (TOB)

« il tombe sur ses faces à ses pieds et le remercie » (Chouraqui)

C’est un Samaritain !

v. 18 C’est un étranger ! (cf. plus haut)

Ne serait-ce pas toujours l’Église qui rend grâce ?

La reconnaissance des faits comme action de grâce.

v. 19 C’est maintenant seulement qu’il y a « résurrection » et salut :

« Relève toi, va. Ta foi t’a sauvé. »

Ici salut et guérison sont clairement séparés, salut et résurrection (relèvement) donc nettement distingués de la guérison (physique).

Le pont est fait avec la suite :

Grâce à la foi d’un étranger il y a (peut-être) présence (cachée) du Règne de Dieu.

v. 20 « Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. » (TOB)

« Le royaume d’Elohîms ne vient pas à vue d’œil. » (Chouraqui)

… quel est donc le miracle de guérison qui précède cet énoncé ? La foi de l’étranger ?

v. 21 « le Règne de Dieu est parmi vous »

La TOB le relie à la mission de Jésus, ce que le texte ne fait pas a priori.

Discerner la présence du Règne, demande-t-il toujours l’adhésion au Christ ?

Ne pourrait-on pas aussi dire :

« Regarde, ce que tu vois et que nous voyons les deux, pour moi, c’est signe de la présence du Christ et je l’appelle Règne de Dieu. » ?

Ce qui compte, je pense, dans le dialogue inter-religieux et avec les agnostiques et les athées, c’est la reconnaissance des faits, ce qu’on observe, ce qu’on partage indépendamment de l’interprétation et ce qui est à promouvoir par tous, ce qui est peut-être même mieux promu par « l’étranger » (v. 18). Cependant, la foi l’attribue à Dieu, mais toujours avec une certaine incertitude (cf. suite).

« parmi vous » (réalité extérieure) ou « en vous » (réalité intérieure), « entos » ? Les Pharisiens !

« Trois traductions différentes ont été proposées … : ‘à l’intérieur de’, ‘parmi’ et ‘à disposition’. Le sens le plus courant est ‘à l’intérieur de’. Il convient bien ici, car le texte oppose l’extérieur à l’intérieur, le visible à l’imperceptible. … L’adverbe, utilisé comme préposition, signifie concrètement ‘dans l’espace de’ … » (F. Bovon p. 149s)

« Voici que le Royaume de Dieu est dans l’espace qui est le vôtre. »

L’espace qu’est l’espace « entre », parce que toute limite, l’entre-deux, le seuil, est toujours un espace (« liminalité »).

En résumé et provisoirement, vivre comme chrétien est vivre sur le seuil, dans cet espace qu’est l’entre-deux  (« d’un bout à l’autre de l’horizon », v. 24) :

  • seuil temporel et spatial
  • entre deux
  • dedans et dehors
  • à l’intérieur et à l’extérieur
  • déjà et pas encore
  • de certitude et d’incertitude
  • la mort et la vie
  • la croix et la résurrection

L’éthique chrétienne comme une éthique de cheminement (« voyage »), de dialogue et de recherche en situation, toujours devant cet horizon que la mort impose (« faisant route vers Jérusalem », la croix et la résurrection) :

Croix et résurrection en situation !

Armin Kressmann 2013

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1Albert Soued ; Les symboles dans la bible ; Grancher, Paris 1993, p. 359s

2Willy Jack Pasedag ; Bibel-Zaheln-Kunde ; Morgenland, Biselsberg 1974, p. 19s

3Marc-Alain Ouaknin ; Les mystères de l’alphabet ; Assouline, Paris 1997, p. 207

 

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