Matthieu 11,2-11(15) – « Attendre des miracles est faire violence à Dieu » ; pistes exégétiques et homilétiques (commentaire)

(avec la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) ; Pierre Bonnard, L’Évangile selon Saint Matthieu, Labor et Fides, Genève 1982)

Matthieu 11,2-15 ; le texte (TOB)

Les chapitres 11-12 introduisent le chapitre 13, les paraboles du Royaume, et en donnent la clé :

 « Les œuvres (11,2) de Jésus déçoivent de plus en plus ses compatriotes ; elles ne leur paraissent pas l’imposer comme Messie. » (P. Bonnard)

Jean Baptiste lui-même exprime des doutes.

Dieu ne s’impose pas. Le monde tel qu’il est parle contre lui, nos compatriotes qui n’ont plus affaire avec lui et qui n’y croient plus ont raison ; la logique parle contre Dieu ; son œuvre est cachée (d’où les paraboles, Mt 13).

« Le ministère de Jésus demeure ‘caché’ (11,20-24) aux sages (11,25-27) ; Jésus se tourne délibérément vers le rebut de la terre (11,28-30) … le Royaume est décidément ‘caché’ (11,25), mot clé de toute la partie » (P. Bonnard)

« Je te loue, Père, … d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. » (Mt 11,25)

v. 2 « œuvres du Christ », toute l’activité de Jésus :

  • le Messie de la parole (Mt 5-7)
  • de l’action (Mt 8-9)
  • de la mission (Mt 10)

cf. aussi « Matthieu 3-13, la structure » … v. 5 !

v. 3

« La question du Précurseur … exprime certainement un doute … il est écartelé entre ce qu’il entend raconter d’extraordinaire sur Jésus et l’absence de toute manifestation éclatante de sa messianité … Jean attendait le Messie ‘redoutable’ de l’apocalypse (Matthieu 3,1-17). » (P. Bonnard)

Y a-t-il encore une attente aujourd’hui ?

  • à l’égard de Dieu
  • à l’égard de ses « envoyés » ou ministres
  • à l’égard de l’Église ou des Églises ?

Indifférence ou recherche à se réaliser soi-même selon des modèles socialement dominants ? L’État Messie qui définit ce qu’est la vie bonne ? N’est-ce pas de lui qu’on attend la réalisation du bonheur (par la loi, ou les experts qu’il mandate), au moins la solution des problèmes ? Paradoxalement indifférence, doute (ou méfiance) et attentes exagérées se télescopent, – « j’ai le droit, j’ai besoin de … », santé, bien-être, bonheur comme droits, donc une justification par des œuvres déléguées.

« Il y a une relation existentielle entre la question du Baptiste et sa condition de prisonniers : le Messie attendu devait libérer les prisonniers, surtout les prisonniers pour la foi. » (P. Bonnard)

Nos enfermements et prison ?

v. 4

« La réponse de Jésus est décevante ; il renvoie Jean et ses disciples aux ‘œuvre’ qu’ils connaissent déjà ; mais l’interprétation des ces œuvres reste en suspens. » (P. Bonnard)

v. 5 Un centon de textes d’Esaïe :

  • 26,19 (morts)
  • 29,18 (sourds)
  • 35,5s (aveugles, sourds, boîteux, pauvres)
  • et 61,1 (Bonne Nouvelle aux pauvres)

« L’évangélisation des pauvres … est le couronnement : Toute l’activité de Jésus est comprise … comme l’annonce d’une ‘année de grâce’ (Es 61) aux pauvres. » (P. Bonnard)

« La Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres. » (TOB)

« Les pauvres entendent de bonnes nouvelles. » (Bonnard)

« Des pauvres reçoivent l’annonce. » (Chouraqui)

« das Evangelium zu hören bekommen » (Rienecker, p. 26 ; immer verbindet sich mit dem Wort die Vorstellung, dass das Gemeldete Wirklichkeit sei oder werde)

« Jésus renvoie bien Jean à des signes recommandés comme messianiques par les Écritures, mais il fait dans un ‘appareil’ si dépourvu de puissance que ces signes peuvent devenir des occasions de doutes autant que de croire. C’est ce qu’affirme explicitement le verset suivant. »

Matthieu 5,1 à 9,34 : le salut de Dieu est donné.

Comment dire quand ne rien change que tout a changé et en tirer les conséquences ?

N’est-ce pas la pointe « violente » du verset 12 et l’opposition entre Jean Baptiste, sa « grandeur » et les plus petits dans le Royaume des cieux plus grands que lui du verset 11.

La volonté d’établir (d’instituer !) le royaume opposée à une réception « passive », gratuite, une simple question du discernement : quelle est la capacité de discernement du royaume des cieux, des cieux sur terre ? Ainsi, le royaume devient réalité subversive qui déstabilise (au lieu de « stabiliser, établir », à son opposé) … toute « institution », l’institution comme violence fondamentale (même le langage, à distinguer de la parole). Accueillir autrui et le servir ne devrait pas passer par une obligation (morale ou légale), par une loi, mais être une évidence, libre :

« C’est l’autre qui te libère ! En Jésus Christ tu es libre, quelque soit ta condition de vie. Saisis ta liberté ! »

« C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison de servitude ! » (Exode 20,2), les dix commandements comme le double commandement d’amour non pas comme commandements, mais affirmation et promesse réelle :

« Tu le feras ! »

« Sais cette liberté ! Et sors sur la place publique, tel que tu es. Ce n’est pas ton handicap qui te handicap mais le regard des autres sur toi et ton handicap. » cf. le fou de Gérasa

La démence n’existe pas ! C’est une confession de la foi.

La démence est un concept médical qui n’a rien à faire avec la foi, la spiritualité, la morale ou la philosophie.

Comment faire pour ne pas bétonner un état de fait qui fait souffrir ? (« La pauvreté n’existe pas ! »)

La clé réside dans la béatitude « en marche ! » du verset 6 :

v. 6 « Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi » (TOB)

« En marche, l’homme qui ne trébuche pas à cause de moi ! » (Chouraqui)

« Selig ist, wer nicht Anstoss nimmt an mir. »

« skandalon » – « eigentlich das Stellholz in der Falle » (Rienecker)

« La personne (de Jésus), la faible condition humaine … qu’il entend assumer jusqu’au bout, sont et seront toujours un piège, une raison (pour Jean Baptiste) d’en attendre un autres … À ce moment … Jean-Baptiste et Jésus sont, ensemble, sur le chemin de la mort, de la croix … Pour Jean, la proximité de cette mort est le signe négatif par excellence placé sur la personne … de Jésus ; pour Jésus et la conception mathéenne, cette mort est le corollaire indispensable des actes de puissance … » (P. Bonnard)

Tout tourne autour de ces actes de puissance … des œuvres (du Christ) … des miracles :

Qu’est-ce un miracle ?

Une manifestation spectaculaire et « violente » à la manière du Baptiste ? Ou une réalité discrète, paradoxale, cachée … Élie (Mt 11,14 … 1 Roi 19, « le bruissement d’un souffle ténu ») ?

Quel est donc le scandale (chrétien) ? La non-violence provoquant comme réaction de la violence, la non-violence mettant en cause toute autorité ou vérité qui veut s’imposer, s’institutionnaliser par décret, qui donc ne surgit pas dans la rencontre (interpersonnelle et avec un absolu personnel), mais est plaquée sur les personnes et les situations concrètes.

Une éthique chrétienne est en conséquence situationnelle !

Elle n’est rationnelle que dans la délibération interpersonnelle, elle est plus relationnelle que rationnelle.

Elle peut raisonnablement donner raison à la déraison : la démence et l’amence n’existent pas !

Dieu ne s’impose pas ! Il se propose.

C’est ce qui le rend fragile et vulnérable, exposé à la ren-contre. Jean Baptiste attend un Messie, donc un Dieu qui s’impose ; d’où son doute quand Jésus et ses œuvres ne s’imposent pas.

Les miracles chrétiens sont discrets et passent inaperçus. Attendre des miracles est faire violence à Dieu.

La personne polyhandicapée n’est pas guérie parce qu’elle est guérie, mais elle est guérie parce qu’elle vit et on la laisse vivre avec son polyhandicap.

Armin Kressmann 2013

 

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