(avec la TOB (Traduction œcuménique de la Bible) ; Pierre Bonnard, L’Évangile selon Saint Matthieu, Labor et Fides, Genève 1982)
Chapitre 3
- « En ces jours-là paraît Jean le Baptiste … » (3,1)
- L’appel à la conversion (« metanoeô » … « seinen Sinn ändern, umdenken, die Gesamtmeinung über sich selbst ändern »1)
- Le règne des cieux s’est approché
- La puissance, voire violence de cette apparition (3,4) et du jugement dernier (3,12)
- « Alors paraît Jésus … pour se faire baptiser » (3,13), comme tout le monde ; une entrée discrète, « anonyme », cachée ; donc Jean s’y oppose (et en doute finalement ; 11,3).
- Le baptême de Jésus (3,15)et la tendresse de la confirmation (3,16.17)
En cette confrontation me semble résumée la suite : le contraste entre nos attentes à l’égard de Dieu, un changement radical des choses, et la discrétion de sa présence dans le monde et parmi nous. Ce règne des cieux annoncé par le Baptiste est une réalité cachée, peut-être plus cachée que future (eschatologique). La suite de l’évangile, finalement jusqu’à la croix et à la résurrection du Christ, développe cette tension. Le règne des cieux est une réalité paradoxale. En découlent des questions sur la conversion elle-même, la réalité des changements et la réalité des miracles (« guérir » une personne handicapée, trisomique ou polyhandicapée p. ex., tel que nous l’entendons en général, serait lui faire violence ; ce serait lui imposer « notre » nature, une autre nature2).
Chapitre 4
- La tentation de Jésus
Qui est justement une invitation à forcer le règne par la violence, une réalisation selon une projection et un programme humains (une « tentation diabolique», séparant radicalement la réalité en noir et blanc ; 4,1-3)
- Le retrait (4,12-17) ; mouvement « kénotique » (un dépouillement de la radicalité du désert et de l’ascétisme du Baptiste3) ? Du désert un retrait en Galilée, donc un retrait paradoxal en pleine vie, là où nous est promise la rencontre avec le ressuscité (« c’est là que vous le verrez » ; 28,7.16) !
- Appel des premiers disciples : « comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit … venez derrière moi … » (4,18) … une béatitude (« en marche », Chouraqui ; 11,6 ; 5,3-11)
- La foule : … « toutes sortes de maladies … il les guérit » (4,24)
Chapitres 5 à 7
Le sermon sur la montagne – Le programme de la non-violence de la présence de Dieu parmi nous (« Emmanuel » ; 1,23) ou de la réalité de ce règne des cieux annoncé
Chapitre 8 et 9
La réalisation de ce qui a été annoncé : « comme il descendait de la montagne … » (8,1)
Il y a miracles parmi nous. Dans la logique de ce qui précède, la manifestation de la puissance divine en ce Jésus Messie ne peut peut pas faire violence à la réalité telle qu’elle est, à la personne à guérir en reniant ce qu’elle est. « Conversion » et « guérison » convergent : quel sens est donné à ce que nous vivons ? Une fois découvert celui-ci guérison en suit, que cette dernière soit physique (littérale) ou autre :
La présence de Jésus est « proclamation de la Bonne Nouvelle du Royaume et guérison de toute maladie et toute infirmité. » (9,35)
En Jésus Christ guérison est guérison qu’il ait guérison ou qu’il n’en ait pas : ma vie a du sens, toute vie a du sens ! C’est ce qui est à découvrir, une conversion qui n’est pas simple.
Chapitre 10
- La mission des Douze : « Proclamez que le Règne des cieux s’est approché. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. » (10,7)
- Ce qui provoque de la violence
- Ne craignez rien !
- « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (10,34) … le glaive de la non-violence, donc la parole créatrice, celle qui tranche et met les choses à la bonne place :
« … sépare l’homme de son père, la fille de sa mère, la belle-fille de sa belle-mère : les ennemis de l’homme seront les gens de sa maison. » (10,35)
A prendre aujourd’hui, de nouveau, contre toute forme de « biologisation » (incestueuse) des relations humaines (contre toute idéologie qui glorifierait de nouveau le « Blut und Boden », ou la « nation », ou le lien « naturel » ; la génétisation ou la médicalisation : il n’y a pas de père biologique ! Il y a père ou il n’y pas père, qu’il soit biologique ou non ; « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir » 3,17).
- Ce qui est explicité à la fin du chapitre (10,37-42)
Chapitre 11
Tout cela, – la présence cachée, donc « non-violente », du royaume de Dieu4 -, évidemment, provoque doutes, des oppositions et de la violence : « scandale » (11,6). Il n’y a pas d’emprise5.
- La question (le doute) de Jean et la déclaration de Jésus, opposant les deux visions du royaume, celle qui cherche l’imposer par la force (Baptiste) et celle qui se rend compte de sa présence cachée (christologique). L’une cherche à instaurer la paix par la force, l’autre en proclamant la paix provoque des doutes et des réactions fortes.
Chapitre 12
- Une confirmation de ce qui précède ?« En fait de signe, il ne lui en sera pas donné d’autre que le signe du prophète Jonas. » (12,39)« Ici il y a plus que Jonas … ici il y a plus que Salomon. » (11,41.42)
Les chapitres 11-12 introduisent le chapitre 13 (les paraboles du Royaume ; Ils donnent la clé ; P. Bonnard) :
« Les œuvres (11,2) de Jésus déçoivent de plus en plus ses compatriotes ; elles ne leur paraissent pas l’imposer comme Messie. »
« Le ministère de Jésus demeure ‘caché’ (11,20-24) aux sages (11,25-27);Jésus se tourne délibérément vers le rebut de la terre (11,28-30) … le Royaume est décidément ‘caché’ (11,25), mot clé de toute la partie »
Conclusion :
Le vie chrétienne est entre deux, « en Galilée » ; l’entre-deux, pleinement dans la vie, est le royaume de Dieu, une réalité cachée à qui « n’a pas d’oreilles pour entendre » (11,15).
Armin Kressmann 2013
1« Changer d’avis sur soi-même » (Fritz Rienecker ; Sprachlicher Schlüssel zum Griechischen Neuen Testament ; Brunnen, Giessen 1987) : quel changement ? Changement radical de la vie ou de la perspective de la vie (« méta- », « Sinnesänderung » ; quel sens donner à ma vie, quel sens fait ma vie ? Faut-il changer sa vie pour y trouver du sens ou la vie change-t-elle après avoir trouvé un autre sens, voire du sens ? Le sens est-il donné, même s’il est caché, ou faudrait-il se ré-orienter pour être dans le bon sens, pour donner sens à se vie ? Quel rapport et priorité entre grâce et œuvre, – les « œuvres du Christ » dont Jean Baptiste lui-même doute ; 11,3 -, œuvres cachées, voire non- œuvres selon la perspective ?)
2C’est à partir de cette perspective que j’envisage la question très actuelle concernant l’homosexualité, l’inter- et la transsexualité, ainsi que la question d’un rite de bénédiction pour couples homosexuels. Leur refuser la bénédiction est leur faire violence.
3La condition chrétienne comme condition « hédoniste » ? (11,18.19) Quel hédonisme ? Un célébration de la vie pleine et du bonheur de vivre (« heureux, en marche » ; 11,6 ; dans la logique, – si c’est une logique, paradoxale -, des Béatitudes).
4Ainsi, par ailleurs, la question de l’œcuménisme telle qu’elle est posée, comme réalité à construire, est une fausse question ; l’œcuménisme est donné en Jésus Christ, il nous précède.
5Ce qui fait que les institutions, notamment les Églises (d’où la crainte de perdre de la pertinence, des membres, du pouvoir, etc.), n’aiment pas cette vision du royaume non plus ; celui-ci leur échappe ainsi. Institution, comme toute forme de loi ou de pouvoir, est violence innée, ne l’oublions pas. Ce qui ne parle pas contre l’institution, ou la loi, mais les rends « coupables » ou révélatrice de « coulpe » (culpabilité objective dont on ne peut pas se défaire, sans faute objective ; premier usage de la loi).