« Fait » – « Tatsache » – « miracle » – « guérison » (avec Wittgenstein)

Un fait, qu’est-ce ? Un fait est un fait !

« Opposé à théorie. Donnée d’expérience par opposition à la théorie qui interprète cette expérience. » (Jean-Claude Piguet : Penser avec les mots) ;

« Ce qui est ou ce qui arrive, en tant qu’on le tient pour une donnée réelle de l’expérience, sur laquelle la pensée peut faire fond. » (André Lalande ; Vocabulaire de la philosophie) ;

« Wenn wir sagen, meinen, dass es sich so un so verhält, so halten wir mit dem, was wir meinen, nicht irgendwo vor der Tatsache : sondern meinen, dass das und das – so und so – ist. » (Ludwig Wittgenstein ; Philosophische Untersuchungen).

Pour Wittgenstein, le « monde m’est donné comme déjà structuré : la réalité est constituée non des choses que mon entendement aurait à mettre en relation, mes des faits où les choses ont un rôle assigné. Ceci a une conséquence directe en ce qui concerne la possibilité de parler du monde, dans la mesure où le langage doit, pour prétendre à la vérité, se contenter de reproduire la structure des faits. » (Christiane Chauviré, Jérôme Sackur ; Le vocabulaire de Wittgenstein ; ellipses, Paris 2015).

Ainsi l’homosexualité est un fait qui se laisse constater par l’expérience scientifique ; c’est ainsi, que cela nous plaise ou non ; du même ordre sont les phénomènes dont je suis le porte-parole aujourd’hui, la trisomie, l’autisme, la psychose, le handicap mentale, la déficience intellectuelle, le polyhandicap, etc. ; c’est ainsi, vouloir le changer en soi est renier une identité, donc la personne en soi, telle qu’elle est. Avec beaucoup de prudence et retenue je dis : Dieu l’a voulu ainsi. Aussi, pour Dieu lui-même, « il faut faire avec » (c’est un de ses noms : « je suis celui qui est tel que je suis et qui fais avec vous tels que vous êtes » Exode 3,14), cheminer avec lui pour le découvrir, dans l’expérience de vie partagée, ce qui est valable pour tout être, et c’est par la suite, dans le « faire », donc l’éthique, que vérité, l’autre tel qu’il est, se dégage (ici renvoi à la dimension du « jeu » et du « jouer avec, les uns avec les autres », dans un espace intermédiaire de jeu, donc de liberté, déterminé). Ce n’est pas le fait qui est problématique, mais ce que nous faisons à partir du constat (scientifique) et ce que nous faisons avec le fait (donc aussi l’interprétation que nous faisons du fait). Quand handicap il y a, c’est le regard sur le fait qui handicape (et peut aussi contribuer à sa « guérison »). Je suis hétérosexuel, c’est ainsi, que cela vous plaise ou non. Scandale n’est jamais le fait, mais scandale peut être ce que nous faisons du fait, et scandale est toujours la souffrance qui en découle. C’est au niveau éthique que la morale se fait (!). Ce paradigme m’amène à relire les récits bibliques de miracle avec une nouvelle clé herméneutique, refusant tout supranaturalisme. Prier pour la guérison de ces personnes, trisomiques p.ex., est un abus spirituel et comporte en lui-même le danger d’une maltraitance spirituelle. Soyons plus attentifs à une bonne et saine « hygiène spirituelle » (et c’est ainsi que j’ai tenté de remplir mon rôle d’aumônier en institution socio-éducative et socio-médicale ; cette hygiène est fondement d’inclusion ; ou d’exclusion ; le rôle de l’aumônier comme gardien du seuil).

La science pour les faits (dont l’homosexualité), nos convictions, raisonnements philosophiques ou foi, pour ce que nous faisons des faits (ce qui, d’accord, crée de nouveaux faits). Ainsi la science, et c’est un scientifique qui parle, ne nous dispense jamais de penser et de croire.

La croix est un fait, la résurrection l’interprétation d’un fait, celui du tombeau vide.

Armin Kressmann 2016

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