Le handicap (sévère) et la théologie négative

Une voie de la théologie nous offre des pistes pour sortir de l’impasse d’une théologie affirmative qui, pour être « guérie », renvoie la personne en situation de handicap à son propre handicap et à sa seule foi, au handicap au premier degré, à ses vulnérabilités physiques, psychiques et mentales. La tradition parle, malheureusement, de « théologie négative » ; je l’ai appelée « théologie palliative », conscient que cette dernière dénomination pourrait prêter à confusion, notamment pour tous ceux et celles qui, quand on parle du « palliatif », entendent « on ne peut plus rien faire » et se détournent de la personne concernée, en la laissant avec elle-même, donc, encore une fois, en situation de handicap, ce qui est le contraire de son intention (et de celle des textes bibliques).

La « théologie négative » ou « palliative », comme les soins palliatifs, accueille la personne telle qu’elle est, en travaillant sur son environnement, sans chercher à changer la situation en voulant changer (la « santé » de) la personne, sans vouloir la « guérir », elle-même. La théologie négative reçoit Dieu sans se prononcer sur lui, sachant que toute énoncé sur Dieu ne parle pas de Dieu tel qu’il est.

Elle parle de Dieu, tel que Dieu, selon la bible, se révèle à l’homme. Elle parle non pas de Dieu en tant que tel, mais toujours de Dieu en situation, en relation avec l’homme, donc de Dieu tel que l’homme peut le percevoir. Pour une théologie chrétienne, ce Dieu à la hauteur de l’homme, est manifestement le Dieu crucifié, donc assumant la condition humaine, et par là la condition handicapée.

 « Im Gekreuzigten ist tatsächlich Gott selbst sichtbar ! (Dans la personne du crucifié Dieu lui-même est visible !) Prägnant hat dies Luther in den Thesen 19 und 20 der Heidelberger Disputation formuliert : ‚… Nicht der ist es wert, ein Theologe genannt zu werden, der Gottes unsichtbares Wesen durch seine Werke gewahr wird und erkennt. … Sondern der …, welcher das Sichtbare und Hintere Gottes durch Leiden und Kreuz gewahr wird und erkennt.’

Es ist das Verdienst Erich Przywaras, auf dieser Grundlage negative Theologie als konsequente Kreuzestheologie zu entwerfen. » (Ralf Stolina ; Niemand hat Gott je gesehen, Traktat über negative Theologie ; de Gruyter, Berlin 2000, p. 46s)

« ‚Christus kennen’, so sagt Przywara zustimmend mit Luther, ‚ist das Kreuz kennen und Gott unter dem Gekreuzigten Fleisch einsehen.’ » (p. 52)

Dieu en gloire, Dieu en lui-même, Dieu « affirmatif », celui de la résurrection, reste caché. Rien à voir, sauf, au creux de ce rien (le tombeau vide), nouvelle naissance possible de l’être humain. Rien de nouveau à voir au niveau des capacités et des vulnérabilités d’une personnes handicapée, mais foi en ces capacités (sa « capabilité »), sur arrière-fond de ses vulnérabilités (« sa croix »), pour sortir de sa situation de handicap, donc résurrection qui est ainsi guérison sans guérison.

 « (Przywara macht deutlich), zum einen, dass die Unauflösbarkeit des mysterium crucis genauer den Charakter eines Skandals und närrischen Wahnsinns hat, und zum anderen, dass das Geheimnis der Offenbarung Gottes im Gekreuzigten das Geheimnis des Heils und der Erlösung ist – die Kundgabe Gottes im Gekreuzigten ist das Geschenk der Erlösung, die Mitteilung der Gnade des Neuen Bundes. » (Ralf Stolina, p. 54)

Avec ces considérations de Przywara, reprises par Stolina dans sa vision de la theologie négative, le scandale et la folie du handicap (sévère) rejoint la scandale et la folie de la croix et finalement de Dieu lui-même (1 Corinthies 1,18ss). Si vous voulez voir Dieu « positivement », tournez-vous (« convertissez-vous ») vers l’être qui souffre, la vie dans l’impasse de la vie. Pour sortir de l’impasse de cette « négativité », vous devez renoncer à vouloir voir et comprendre Dieu, et miser sur la « capabilité » de votre vis-à-vis, être comme vous, humain comme Dieu en Jésus Christ. Ainsi miracle de résurrection devient possible, sans que vous confondiez ni ce qui se passe, – qui est de l’ordre de la grâce, donc du don, sans possibilité de le maîtriser -, avec une manifestation directe de Dieu (un « miracle »), ni l’être que vous accompagnez avec Dieu lui-même. Dieu reste caché dans sa révélation et sa communication,

 « verborgen in seiner Offenbarung und Mitteilung » (Ralf Stolina, p. 5)

Suite à Przwara, Stolina dit :

 « Die Negation errichtet somit in Hinsicht auf Gott nicht die Grenzen eines absoluten Nichts, sondern schafft Raum, damit sich, wie es Przywara formalisiert ausdrückt, als „Hyper im ‚non’“ ein „positiv ‚Überschwängliches’ aussagen kann … » (p. 57)

L’espace dont il est question, le tombeau vide, „engendre“ ou „accouche“ un surcroît, la vie (« résurrection », avenir et espérance), ce que nous constatons partout où il est question d’espaces créatifs, d’espace ludique (ludo-créativité), « intermédiaire » (Donald Winnicott), « vide » (Peter Brook), etc.

C’est l’espace de la nouvelle naissance, la matrice, l’espace que nous sommes invités à habiter ensemble, la piste de danse où se joue le drame de la vie et de la mort, le chœur, le narthex, la nef et le parvis.

Quand nous voulons le saisir, le dé-finir, nous ne pouvons que décrire son contour.

Suite à Hans Blumberg, Stolina parle de « Horizontabschreitung », de « (dé)marche sur l’horizon » et dit :

 « … der Horizont ‘öffnet das Feld, das umschliesst » (Ralf Stolina, p. 148)

Pour conclure :

 « Die Schrift wird so zum Zelt der Begegnung mit Gott, die das Gebet des Lebens, den Lebensvollzug von Gott her auf Gott hin, eröffnet und gestaltet. » (p. 151)

La bible comme horizon qui ouvre l’espace de rencontre avec ce Dieu qui se cache dans la rencontre.

Armin Kressmann 2011

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