11.12 L’accompagnement spirituel I – Saisir le bruit du silence ténu !

Significations du handicap mental : 11.12 L’accompagnement spirituel I – Saisir le bruit du silence ténu !

Saisir le bruit du silence ténu ! comme le prophète Elie (bible, premier livre des Rois, chapitre 19), c’est ce à quoi nous sommes invités quand la compréhension, la saisie, la lecture, l’interprétation d’une situation qui nous plonge dans la déprime nous laisse sans mots, quand la parole fait défaut, tout particulièrement dans les fracas des situations extrêmes.

A Wittgenstein et son

« Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen. » (Tractatus 7.)

je répondrais :

„Wo man nicht sprechen kann, da muss man hinstehen“,

sortir de la caverne (ou du tombeau vide)

et répondre à la question :

« Pourquoi es-tu ici ? » (1 Rois 19,13)

Si la réponse à cette question, – qui est la question du sens, donc hautement spirituelle et nous rappelant le STIV de l’accompagnement spirituel (en milieu hospitalier)[1] -, est celle du prophète Elie, nous ne sommes plus en situation de handicap, mais en situation de résurrection, c’est-à-dire en situation de relation rétablie :

« Je suis passionné du Seigneur. » (1 Rois 19,14),

la passion, l’amour, le zèle, l’envie et le désir[2], – d’un sujet-objet absent ! -, comme sortie de la dépression dans laquelle est tombé notre personnage après une présence violente, trop violente, de la divinité (le sacrifice au Carmel, 1 Rois 18) :

« Je ne peux plus ! Maintenant, Seigneur, prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères. »[3] (1 Rois 19,4)

« Être ici », « da sein », devient la dernière posture relationnelle possible en situation de handicap extrême, quand l’ensemble des corps professionnels, la famille, l’État et la société civile ne savent plus quoi faire, au bout de toutes les tentatives de maîtriser la situation et de garder un con-tact. C’est aussi cette dernière posture qui confirme le « Dasein », le fait d’exister, nu et dépouillé, donc la dignité de la personne concernée et à travers celle-ci la dignité de toutes les autres et le sens de ce qu’elles font quand elles ne savent plus quoi faire. Revient ainsi aux institutions socio-éducatives et socio-médicales accueillant des personnes en situation de handicap extrême la responsabilité pour l’ensemble de la société de préserver symboliquement la dignité humaine de toute personne (c’est-à-dire de tout humain).[4]

Cette attitude ultime est au-delà du savoir et de la maîtrise ; elle sollicite la dimension professante des professions (la « Berufung », la vocation du métier, du « Beruf »), au-delà de la déontologie et des savoirs techniques (des techno-sciences), elle sollicite l’humain en tant qu’humain, l’être en tant qu’être. Nous sommes dans le spirituel (ne sachant plus « d’où on vient, ni où on va »), qu’on le veuille ou non. En conséquence, toute institution, – portant cette « responsabilité de l’ultime » (autant si ce n’est pas plus que les Églises ![5]) -, qui nie cette réalité spirituelle ou qui l’évacue, – en se revendiquant notamment d’une laïcité exclusive -, ne porte plus sa responsabilité et laisse les individus confrontés aux situations extrêmes dans un vide insupportable. Surgit alors un risque accru de contre-transferts sur les personnes accompagnées qu’on devrait justement protéger de telles atteintes. Les accompagnants acculés au mur de l’impuissance professionnelle, la porte est ouverte aux abus et à la maltraitance et les personnes accompagnées sont replongées dans le même vide, la « caverne » ou le « tombeau » d’où elles ont été censées sortir pour renaître. Pour la raison, qui a perdu ses repères, ne reste comme dernier « acte technique raisonnable » que l’eu-thanasie, de faire de l’acte de donner la mort un acte de compassion, c’est-à-dire de pervertir la compassion[6].

Armin Kressmann 2011


[1] Au STIV – Sens, Transcendance (donc la question de l’ultime et de la foi en ce qui personnellement transcende), Identité et Valeurs, ainsi que AR – Appartenance et Reconnaissance mentionnés, j’ajouterais : Relation (qui peut remplacer appartenance et reconnaissance), mais surtout Culpabilité (voir la suite) ; tout le chapitre de la définition de la spiritualité par circonscription serait à reprendre d’une manière plus systématique, pour la simple raison déjà, que c’est ici que se décide le choix des grilles pour ceux qui souhaitent poser un « diagnostic spirituel » et qui parlent de « détresse spirituelle ». Par ailleurs je constate une tendance laïcisante dans le choix des termes et concepts utilisés qui évite d’appeler certaines réalités par leur nom : foi, Dieu (et si ce n’est que comme question), culpabilité (faute, péché), etc.

[2] Le texte hébraïque dit : « Aimer passionnément, j’ai aimé passionnément », le verbe « qna » signifiant « être jaloux, porter envie, envier, être zélé pour quelqu’un, exciter la jalousie et la colère » ; en fait, nous sommes devant une éthique d’avocature et se pose la question de qui défend qui ? Le désir étant évoqué, nous sommes aussi en contexte de dignité : « La dignité humaine – recevoir autrui comme plaisir »

[3] Commentaire de la TOB (note o) :

culpabilité« Certain commentateurs ont cru voir là un aveu des péchés du prophète. En fait, il semble que, découragé devant l’échec de ses efforts, il désire la mort au désert comme ses ancêtres hébreux durant l’Exode. »

Dans notre contexte de situations de handicap (extrêmes), autant la question de la faute (du péché et de la culpabilité) que de l’échec des efforts est brûlante.

[4] Il n’est en conséquence pas un hasard que toute atteinte généralisée, pour ne pas dire totalitaire, à la dignité humaine touche aussi et surtout, souvent même avant toutes les autres, aux personnes (mentalement) handicapées.

[5] Au fond, théologiquement, ces lieux et ces établissements sont appelés à être « Église » (au-delà des Églises), lieu de proclamation et de confirmation d’une « bonne nouvelle », celle de la valeur de la vie humaine, de son humanité et de sa personnalité, aussi en situation extrême, au nom de ce Dieu en l’occurrence absent, mais présent dans l’humanité humaine, par la sollicitude, la miséricorde et la compassions pratiquées (toutes  des concepts féminins d’ailleurs).

[6] C’est ainsi qu’en mon avis les débats actuels sur l’assistance au suicide dans les institutions sociales et socio-médicales témoignent plus d’un désarroi au niveau du sens de la vie à la limite de la vie que d’un souci réel de respect de l’autonomie des personnes accueillies.

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