« Eben-Hézer » – La pierre du secours

« Samuel prit une pierre et la plaça entre Miçpa et La Dent. Il l’appela Evèn-Ezèr, c’est-à-dire: Pierre du Secours, ‘car, dit-il, c’est jusqu’ici que le Seigneur nous a secourus’. » (1 Samuel 7,10-12)

1899-1999 Centenaire de la Fondation Eben-Hézer : Quel est le message pour le monde d’aujourd’hui, pour notre temps, pour notre société ? Qu’est-ce que nous voulons dire avec ceux qui nous sont confiés, nos résidents, nos enfants, nos amis, les personnes handicapées en général? Qu’est-ce que nous voulons dire pour eux, pour nous et pour les autres ?

Evoquer le passé, l’œuvre de Julie Hofmann et l’histoire d’Eben-Hézer, présenter nos institutions et nos projets d’avenir, c’est bien, mais cela ne suffit pas.

Nos résidents, après tout ce que notre siècle a commis à l’égard de ceux qui sont différents, – la racisme et l’antisémitisme, sous lesquels les « handicapés », notamment mentaux, ont souffert, eux aussi, et comment ! – et dans le débat actuel du génie génétique et du diagnostic prénatal, ont droit à plus, à plus que la charité humaine et chrétienne, – si bonne qu’elles soient -, à plus que l’aumônerie, l’aumône, – si nécessaire qu’elle soit- , à plus que le rappel d’un combat héroïque d’hommes et de femmes comme Julie Hofmann.

L’œuvre de Julie, sa pensée, il ne faut pas seulement les redire pour notre temps,

mais aussi actualiser et transmettre ce qui, – ou celui qui -, l’a mue, l’actualiser pour les gens d’aujourd’hui.

Alors qu’est-ce qui l’a mue, motivée dirait-on aujourd’hui ?

Quel est le message d’Eben-Hézer d’aujourd’hui, du handicap en général, pour notre temps ?

Voici une ébauche :

Partons du nom de Dieu, tel qu’il nous est transmis dans la bible, plus spécifiquement de son prénom, si j’ose dire, ce qu’on appelle le « Tétragramme » (« tétra » « quatre », parce qu’il est composé de quatre lettres, quatre consonnes; en hébreu, les voyelles ne s’écrivent pas) :

Y H V H … nom imprononçable (parce qu’on ne sait pas quoi mettre de voyelles), nom insaisissable, nom représentant l’autre par excellence, le tout-autre, Dieu, le créateur, en dehors et face à la créature.

Maintenant, je prétends que le handicap, – le handicap mental notamment -, comme la figure du juif, ou celle du clown, – si vous me permettez cette vision insolite, mais très sérieuse -, nous renvoie à cet autre, tout-autre, et d’une manière privilégiée.

Le handicap, en profondeur, nous reste insaisissable et étranger, comme Dieu.

Et c’est en cela qu’il comporte tout son intérêt pour nous, pour l’homme, l’homme face à l’autre, l’homme face à l’autre homme … ou femme, l’homme face à Dieu.

Le handicap nous renvoie à l’altérité du Dieu tout-autre.

La personne handicapée est, ce que réclament les juifs pour eux, une porte vers Dieu :

Y H V … D … H « jéhouda » – « juif » (« Jude » en allemand)

D – en hébreu, cette lettre veut dire « la porte » …

« Je suis la porte » dit le Christ, « si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé, il ira et viendra et trouvera de quoi se nourrir » (Jn 10,9).

Le handicap dans une vision christologique, les stigmates (cf. Jn 20), nous renvoie à la souffrance de l’autre, de l’autre confronté au même …

La personne handicapée nous fait voir l’autre

La tradition par contre, celle que nous risquons de célébrer lors du centenaire si nous ne faisons pas attention, se réfère au même.

Si nous ne faisons pas attention, nous répétons ce que tous pensent de connaître déjà, – du handicap, de l’autre, de Dieu -, ce qu’ils ont classé, déclassé, rangé, ce qu’ils pensent maîtriser.

A tout prix il faut éviter la mainmise sur l’autre …

ce qui, en langage théologique, s’appelle « le péché » …

Toute difficulté avec le handicap dans la société, handicap dans le sens le plus large possible, et pas seulement avec lui, réside en cette distance, en cette opposition intrinsèque, en cette rupture entre le même et l’autre, et en la reconnaissance de la distance, le respect d’autrui, de celui qui est différent.

Là où le « juif » représente l’autre dans le même, la différence constitutive de l’autre par rapport à moi et d’une manière invisible, le handicapé, – comme le clown, le bon -, représente le même dans l’autre, moi en celui qui est, visiblement, différent. (D’où la proximité handicap – racisme – eugénisme – antisémitisme !)

Ainsi, le travail dans le domaine du handicap est un travail sur moi-même.

A mon avis, le principe de l’altérité de l’autre, la rupture entre lui et moi et la nécessité de le respecter dans son altérité pour être respecté moi dans mon altérité face à l’autre, tout cela, devrait être manifeste dans nos démarches du centenaire.

Ce que je souhaiterais est un centenaire différent, assez fou pour interpeller, pour intéresser,

– un centenaire qui ne se laisse pas sans autre classer parmi les centenaires,

– un centenaire qui déclasse celui qui classe, un centenaire qui dé-range,

– un centenaire qui touche, avec tendresse et poésie.

Armin Kressmann, 19.05.98

Texte catéchétique faisant partie d’une série publiée en 1999 lors du centenaire de la Fondation Eben-Hézer, fondée par Julie Hofmann :

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