Soins et spiritualité : le passage au religieux

Spiritualité et spiritualités

Jusqu’ici la série de mes articles sur « Soins et spiritualité » servait de préparation au passage décisif qu’est celui vers le religieux, en tant que concrétisation et institutionnalisation du spirituel. Jusqu’à présent je suis resté ambivalent dans l’utilisation des termes « spirituel » et « religieux ». D’un côté j’ai adopté la vision constructiviste de l’aumônerie des hôpitaux du canton de Vaud défendue notamment par Etienne Rochat, de l’autre côté j’ai maintenu le caractère insaisissable et indéfinissable de la spiritualité, en disant implicitement que définir le spirituel nous fait toujours basculer vers le religieux, avec ou sans Dieu. Chaque définition du spirituel a un côté religieux. Cela est particulièrement le cas là où l’individu donne sa vision du spirituel en disant ce qui compte vraiment dans sa vie, en un moment précis, ce que Paul Tillich a appelé « le souci ultime », « the ultimate concern ». Il transpose la sphère du spirituel qui transcende sa conscience en un champ défini, ses soucis ultimes, qui prennent un caractère plus ou moins religieux, donc, pour lui, absolu.

Pour un adolescent par exemple, les copains, l’amitié, le corps et son état d’âme sont des réalités intouchables et « sacrées ». Son champ religieux pourrait ainsi se présenter sous la forme suivante :

Le champ ainsi défini comme « son religieux » par cet adolescent le rapproche comme interlocuteur privilégié pour répondre à ses préoccupations, aussi spirituelles, au médecin. C’est le médecin qui, en cette situation donnée, serait la personne la mieux habilitée pour répondre aux soucis  ultimes, parce que ceux-ci sont étroitement liés au corps. C’est le médecin qui serait la bonne personne aussi pour entrer dans le rôle de « soignant ou d’accompagnant spirituel ».

Pour une personne âgées déjà détachée des soucis corporels, la situation pourrait se présenter tout autrement :

Pour cette personne âgée la bonne personne pour répondre à ses soucis ultimes serait le pasteur ou l’aumônier.

En conséquence, dans l’accompagnement spirituel d’une personne donnée en un moment donné on devrait lui poser la question de ce qu’elle retient  du champ large et transcendant du spirituel (la sphère du spirituel, indescriptible et toujours indéfinissable en soi) comme réalité ultime et décisif, ici et maintenant ; c’est cela qui est sa religion :

« Rien n’est plus contesté, ni depuis plus longtemps, que l’origine du latin religio. … pour des raisons tant sémantiques que morphologiques, le mot se rattache à relegere « recollecter, reprendre pour un nouveau choix, revenir à une synthèse antérieure pour la recomposer » : la religio « scrupule religieux » est ainsi, à l’origine, une disposition subjective, un mouvement réflexif lié à quelques craintes de caractère religieux. Fausse historiquement, l’interprétation par religare « relier », inventée par les chrétiens, est significative du renouvellement de la notion : le religio devient « obligation », lien objectif entre le fidèle et son Dieu. »

Émile Benveniste ; Le vocabulaire des institutions indo-européennes ; vol. 2 ; Les Éditions de Minuit, Paris 1969, p. 265

Armin Kressmann 2010

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