« Médecine, santé et spiritualité » – quatrième soirée dans ce cycle de conférences au CHUV, l’hôpital cantonal vaudois à Lausanne : ils étaient cinq conférenciers et chacun/e aurait mérité une soirée pour lui/elle.
Il y avait une unanimité qui m’a surpris : la médecine doit désormais tenir compte de la spiritualité des patients. Comment, c’est encore ouvert. De quoi exactement, règne une certaine confusion. Qu’est-ce que c’est, la spiritualité, plusieurs visions coexistent.
Autant la médecine somatique est aujourd’hui scientifique et technique, autant le spirituel est encore terra incognita. Se lancent au large les premiers chercheurs, dont Cosette Odier, Stéphanie Monod, avec Etienne Rochat. En matière de « spiritualité médicale » nous vivons le passage de la préhistoire à l’histoire. Tout doit encore être structuré. Il est intéressant de voir se tâtonner des personnes, en l’occurrence les médecins, autrement si spécialisés et affirmés. C’est presque touchant.
Un dilemme se fait sentir : le statut des aumôniers, hommes et femmes d’Église appartenant et venant d’un autre univers ou collègues experts en un domaine médical nouveau ? Qui, par la suite, y portera la responsabilité ?
Le religieux, décrié, vit son retour sous la forme du spirituel, désormais individualisé et « neutralisé ». Aussi aseptisé ?
Florence Nightingale et d’autres pionnières des soins infirmiers sont redécouvertes :
« En 1860, la britannique Florence Nightingale, pionnière du nursing moderne, reconnaissait que la discipline infirmière devait s’intéresser aux lois de la Nature et de Dieu, concernant la relation entre le corps de la personne soignée et son environnement. Elle définissait la spiritualité comme le sens d’une présence plus grande que l’humain (sa vision de Dieu) et une conscience d’être lié de l’intérieur à cette réalité plus grande. Elle soutenait également que la spiritualité, intrinsèque à l’humain, est une ressource essentielle qui comporte un potentiel de guérison. »
J. Pepin et C. Cara ; Théologiques 9/ 2 (2001) p. 37
Ce sont les soins qui révolutionne la médecine, là où celle-ci touche à ses limites. Est-ce que ce seront aussi les soins qui vont révolutionner la religion, les Églises ? Sera-ce par cette voie-ci que celles-ci retrouveront leur crédibilité, l’accompagnement spirituel, jusqu’à la fin de la vie ?
A la fin de cette soirée fort intéressante mais un peu désorganisée, symptôme peut-être de ce que provoque la question du spirituel en médecine aujourd’hui, une série d’interrogations et de réflexions m’habite, en vrac :
– La médicalisation du spirituel
– Toujours cette hantise du prosélytisme, comme apprendre à calculer ferait de nous tous des mathématiciens
– Le manque de base commune au niveau de la définition de ce qu’est spiritualité
– La distinction entre croyances et foi
– Le mythe de l’autonomie du patient ; qu’est-ce un médecin quand il est patient, médecin ou patient ?
– Spiritualité et psychologie
– Le statut des aumôniers, mais aussi la définition des champs de compétences entre médecins, thérapeutes, soignants et aumôniers ; davantage encore : avec les changements profonds qui remanient le religieux et le spirituel, qu’est-ce un aumônier désormais ?
– Ce que Cosette Odier appelle « l’ascèse », – le fait que l’accompagnant s’oriente et se laisse guider par les convictions du patient, et non pas les siennes ; manière intéressante d’exprimer ce que je croyais évidence, mais me fait comprendre qu’il y a dans le domaine de la spiritualité encore un grand non-professionnalisme. Ce que j’appellerais la suspension (phénoménologique), dans la recherche, l’éducation, les soins, l’enseignement, me semblait jusqu’à présent évident.
Armin Kressmann 2010