Dans la logique « En marche … » des Béatitudes :
Soucis il y a, qu’on le veuille ou non, et je ne peux pas croire que Jésus les ait reniés. Notre texte, me semble-t-il, ne polémique pas contre les soucis, d’une manière générale, mais les différencie pour nous ramener à ce que devrait être le soucis ultime : le soucis de l’autre, et de moi-même dans mon altérité. Cela se déploie quand on regarde (!) notre texte dans son contexte :
- il y a inclusion (… des soucis !)
- tout est une question de discernement, donc de regard sur …
- en conséquence une question de foi et de confiance
Comment gérer ses soucis ?
Comment être intègre ?1
Devant la réalité redoutable du « œil pour œil et dent pour dent » (Mt 5,38-42), en tant que croyant (ou non-croyant, qui à travers ce cheminement de discernement de ses soucis devient croyant ; croyant en quoi, en qui ?), comment gérer ses soucis, et cela sans tomber dans la symétrie des reproches et de la vengeance. Ici, Jésus, à travers le témoignage de Matthieu, – d’une manière inductive, partant de la réalité humaine, de nos soucis quotidiens, donc d’une façon non-doctrinale -, développe, radicalise, universalise et actualise le commandement d’amour du prochain, ce qui a été déjà inscrit dans la Loi du Lévitique 19, les deux principes fondamentaux du judéo-christianisme, l’amour de l’Autre, autre et tout-autre :
Lv 19,1 « Soyez saints, car je suis saint, moi, le SEIGNEUR votre Dieu. », parallèle à Matthieu 5,48
Lv 19,17-18 « N’aie aucune pensée de haine contre ton frère, mais n’hésite pas à réprimander ton compatriote pour ne pas te charger d’un péché à son égard ; ne te venge pas et ne sois pas rancunier à l’égard des fils de ton peuple : c’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est moi, le SEIGNEUR. », parallèle à Matthieu 5,43-47
5,38-42 La réalité : « Œil pour œil. »
Et maintenant ?
5,48 De quoi s’agit-il ? Du rapport à l’A/autre – de l’intégrité !
« Soyez intègre comme votre Père céleste est intègre. »
5,43-6,18 D’amour (des ennemis, radicalisation de l’amour du prochain) et de prière
Titre et programme :
6,21 « Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »
Analyse pratique, une question du regard et des priorités :
Une question de discernement :
v. 22 « La lampe du corps, c’est l’œil. »
Une piste, le Psaume 119,105 :« Ta parole est une lampe pour mes pas, une lumière pour mon sentier. »
Et voici l’alternative : v. 24 Ou Dieu ou l’argent – « Nul ne peut servir deux maîtres. »
v. 25-34 Les soucis
7,1.2 Le jugement – « Ne vous posez pas en juge »
7,3-5 L’œil – La poutre et la paille
7,6 Le trésor – Les perles
7,7-11 Demander – Prier
7,12 La règle d’or, résumé de la Loi et des prophètes
« Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux. »
Elle est formulée positivement, « faites » (et non pas négativement, « ne faites pas », le « ne pas nuire » d’une éthique minimale), donc d’une exigence radicale ; cette éthique de réciprocité est maximale, du même ordre que le double commandement d’amour. En cela l’éthique chrétienne se distingue de l’éthique politique libérale minimale.
Je résume la structure :
Œil pour œil ? – Le discernement
Le rapport à l’A/autre – l’intégrité !
Il s’agit ’amour et de prière
Titre et programme : « Où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »
Analyse pratique, une question du regard et des priorités :
L’œil, le discernement : « La lampe du corps, c’est l’œil. »
Ou Dieu ou l’argent
Les soucis
Le jugement – « Ne vous posez pas en juge »
L’œil – La poutre et la paille
Le trésor – Les perles
Demander – Prier
La règle d’or, résumé de la Loi et des prophètes
Le défi qui nous est posé est : « Œil pour œil ? » ou amour de l’autre, même l’ennemi, implicitement l’amour non-narcissique de soi-même, un détachement de soi-même et une remise à autrui ?
L’œil est l’organe de discernement : que vois-je quand je regarde le monde, les autres et moi-même ? Ce qui fait « ob-stacle », ce qui est posé entre nous, ou la « beauté » de la création, les oiseaux du ciel, les lis des champs, autrui et moi-même tels que voulus par Dieu ? Est-ce que je vois la présence de Dieu, de l’ultime, en l’autre et en moi-même et, en conséquence, est-ce que je les traitent aussi comme tels, même là où ob-stacle, « ennemi », il y a ?
Le trésor, est-ce l’extériorité, le matériel, l’apparent, ou cette humanité partagée en laquelle nous sommes tous égaux ?
Le soucis, est-ce vraiment un soucis de l’autre, l’autre et moi-même dans notre altérité fondamentale partagée qui ne se laisse pas ramener à une mêmeté apparente par le matériel, dont l’argent est la forme « accomplie » ?
Dieu ou l’argent ?
Armin Kressmann 2017
1Ou « saint » ou « parfait », Mt 5,48 dans la traduction de la TOB ; « téléioï », il s’agit d’une finalité : quelle fin est la nôtre ? Ou quelle finalité nous nous accordons à nous-même ?