Miracle vérité ou miracle liberté ?

La réflexion sur les miracles que je mène ces temps-ci en dialogue avec le petit livre « Wunder und Glaube » de Walter Schmithals nous met devant une question chaude, actuellement, comme dans le passé déjà, celle de la primauté : de la vérité sur la liberté ou de la liberté sur la vérité ?

Après une courte période marquée par le dialogue entre cultures, religions et confessions, où le goût de la liberté et la liberté elle-même me semble-t-il avaient pris l’avantage sur la vérité, le temps, notre temps, passe de nouveau à l’affrontement et penche vers la vérité, vérité contre vérité, vérité et contre-vérité.

Pour et entre les chrétiens, et face aux autres penseurs et croyants, la réception des histoires de miracle pourrait être pierre de touche : pour vous et pour l’autre, qu’est-ce qui compte, votre vérité contre celle de l’autre, ou la liberté, la vôtre et celle de l’autre ? Qui a raison, le christianisme ou l’Islam, le bouddhisme ou le laïcisme, ou vous accordez-vous et l’accordez-vous aussi à l’autre de penser d’abord, avant de croire et de fixer vos pensées, et de prendre comme figées celles de l’autre ?

A qui la primauté dans le concert des croyances ? Au christianisme ou à l’humanisme ? La Suisse, l’Europe, d’abord terre chrétienne, – vérité -, ou toujours terre humaniste, – liberté ? Avec d’autres, entre parenthèses, Denis Müller pose la question et apporte sa réponse : « Europe chrétienne et pensée libre ».

Pour être un « bon chrétien », faut-il croire aux miracles, tels qu’ils nous sont transmis dans les récits bibliques ? Et quand on se déclare « humaniste », est-on en quelque sorte obligé de les rejeter ?

Nous avons déjà vu que les miracles, tels que racontés dans la bible, faisaient partie de l’univers de pensée de l’époque comme la pensée scientifique moderne est évidence aujourd’hui. Changement de la vision du monde induit donc, tout naturellement, changement de la vision qu’on a des miracles. Walter Schmithals dit :

« Waren die Wunder integraler Bestandteil des antiken Weltbildes, so sind sie dem gegenwärtig mehr oder weniger herrschenden, dass heisst dem wissenschaftlichen, Weltbild fremd.

… Überträgt man sie … als zeitlos objektive Fakten in unsere Gegenwart, verändern sie sich selbst und das, worum es ihnen geht, völlig. »

W. Schmithals, p. 26s

En conséquence, la transposition des récits de miracles tels quels d’une vision du monde où ils étaient rien d’extraordinaire dans une vision moderne et scientifique où ils dérangent, où bien provoque  la mise en question de la vision qu’on a du monde moderne quand on reste attaché aux récits, – ce que les traditionalistes et fondamentalistes font -, ou bien induisent le rejet du message et du sens que ces récits véhiculent, – ce qui se passe du côté de nombreux contemporains qui les considèrent comme étant quelque peu enfantins, voire ridicules. « Foi ou science » est finalement monté en dilemme, comme s’il fallait choisir, l’un ou l’autre, mais pas les deux. Ainsi les récits de miracle, au lieu d’être support de la foi, se transforment en leur contraire et deviennent obstacle pour la foi :

« Indem der modernisierte Wunderglaube nous abforderte, unser Weltbild wenigstens punktuell preiszugeben, würde er zum Hindernis für den eigentlichen Glauben, der sehr viel mehr an Opfern verlangt als die Preisgabe eines Weltbildes , denn der Glaube wagt ja, die Welt selbst als den Grund des Lebesn preiszugeben … »

p. 27

Pour Walter Schmithals, la mise en question de la vision moderne du monde pour des raisons de foi serait trop simple et facile ; le fondamentalisme est une solution simpliste. La foi exige davantage : lâcher le monde, et pas seulement la vision du monde, comme fondement de la vie. Le fondement, le sens du monde, encore une fois, est hors monde. L’opposition se trouve ailleurs, entre l’homme fondement de l’homme, donc la raison comme fondement autosuffisant du vivre ensemble, et l’humanité de l’homme comme don, fondée en dehors de moi, dans l’altérité ou un autre moi, dans l’humanité de Dieu pour le langage de la foi. Autrement dit, le dilemme semble être entre une vérité accessible et une vérité inaccessible pour l’homme en soi, ma vérité et celle de l’autre. Cette dernière, en soi, ne me reste-t-elle pas toujours inaccessible ? Puis-je comprendre l’autre sans qu’il disparaisse, et moi avec lui ?

Miracle vérité ou miracle liberté ?

« Die Frage nach der Wahrheit der neutestamentlichen Wunderüberlieferung ist also nicht identisch mit der Frage nach dem, was dmals wirklich passiert sei, sondern ist die Frage nach dem, was heute durch diese Geschichten passiert. …

Die Wundergeschichten waren Predigt, als lebendige Predigt wurden sie überliefert, und sie predigen den gegenwärtigen Herrn. »

p. 28

Décisif n’est pas le contenu des récits de miracle en soi, ce qui s’est « réellement » passé à l’époque, mais ce qui se passe à travers ces récits aujourd’hui. Et quand ils sont obstacle à la foi, mieux vaudrait les lâcher au lieu de vouloir les imposer comme vérité.

« Zwar hängen die neutestamentlichen Wundergeschichten am Evangelium, nicht aber hängt das Evangelium … an den Wundergeschichten !

Schon Luther hat, wenn auch unter anderen Vorausstzungen, dem Leser seines deutschen Neunen Testaments in dieser Richtung instruiert und ihm nahegelegt, den Wundergeschichten nicht zu viel Aufmerksamkeit zu schenken. Er schreibt in den Vorreden zu seinem Neuen Testament :

“Es ist Johannis Evangelion und Sanct Paulus Episteln, sonderlich zu den Römern, und Sanct Peters erste Kapitel der rechte Kern und Mark unter allen Büchern, welche auch billig die ersten sein sollten und einem jeglichen Christen zu raten wäre, dass er dieselben am ersten und allermeisten lese … Denn in diesen findest du nicht viel Werk und Wundertaten Christi beschrieben, du findest aber meisterlich ausgestrichen, wie der Glaube an Christum Sünde und Tod und Hölle überwindet und das Leben, Gerechtigkeit und Seligkeit gibt …””

p. 29

Mais rejeter les récits de miracle ou les recaler, tel que Luther le proposait, ce n’est même pas nécessaire, parce que ce que Luther appelle « la foi en Christ qui libère du péché[1] et de la mort et de l’enfer » est justement au centre des ces récits, comme nous le verrons quand nous en travaillerons l’un ou l’autre. Délivrance et libération, dans la foi en Jésus Christ, donc miracle liberté, c’est leur vérité. Délivrance et libération, quand nous proclamons Jésus comme Christ est toujours notre mission en tant que chrétiens, et délivrance et libération est ce que j’attendrais de tout humanisme, soit-il chrétien, laïque, musulman ou bouddhiste …

Armin Kressmann 2010


[1] « Péché » aujourd’hui dans le sens de « coulpe », responsabilité, charge morale même là où il n’y a pas faute juridique ou culpabilité, cf. ce que nous avons dit dans la recension du livre « Handicap : l’éthique dans la pratique clinique » édité sous la direction de Régine Scelles

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