Le miracle : „Wunder und Glaube“, Walter Schmithals

Nous croyons que la science a raison et nous avons raison de le croire, parce que notre vision du monde est que la science a raison. Notre raison est scientifique et notre science est raisonnable. La réalité de la science et de ce qui se laisse démontrer scientifiquement n’est pas contestable, en tout cas pas aussi longtemps que nous considérons comme réel et incontestable ce qui se laisse observer et démontrer scientifiquement.

Selon Walter Schmithals[1], pour l’Antiquité, le miracle n’était rien d’extraordinaire non plus, mais tout à fait naturel et évident, rien de qualitativement différent de ce qui était considéré comme normal. Le miracle faisait partie de la raison de l’époque, de la vision du monde telle qu’elle était du temps biblique. Le miracle était normal, juste une réalité quantitativement plus puissante que d’habitude, preuve scientifique, – « signe » et « force », donc expérience -,  à l’intérieur d’une science qui considérait l’univers habité par toutes sortes de forces et de puissances. Nous pouvons dire : le miracle était réalité scientifique, réalité naturelle, rien de sur- ou supranaturel, scientifiquement encore plus évident que ce qui était évidence naturelle :

p. 13 « (Das) antike Weltbild lokalisierte um die von Menschen bewohnte Erde herum numinose Kräfte: die Gewalten der Unterwelt, die Beherrscher des Firmaments, die Geister der Erde und der Luft. »

p. 14 « Das wunderbare Handeln zeigt sich weniger qualitativ von irdischen Geschehen unterschieden … als vielmehr quantitativ. Es zeigt sich dem gewöhnlichen Ablauf der irdischen Dinge an Unberechenbarkeit und Kraft überlegen, greift in die Kausalkette der Ereignisse ein und erweist sich als ‘übernaürlich’, das heisst aber: als überlegen Natürliches.

Die Weltbildhaftigkeit des Wunders erklärt die Tatsache, dass man sich über Wunder nicht in unserem Sinn wunderte. Unser moderner Begriff ‘Wunder’ gibt deshalb nur sehr unzureichend die entsprechenden griechischen Begriffe aus dem Neunen Testament wieder, die ‘Zeichen’ oder ‘Krafttaten’ heissen und nicht – wie unser Wort ‘Wunder’ – eine ‘Widernatürlichkeit’ solcher wundersamen Ereignisse im Blick haben, sondern deren Funktion (‘Zeichen’) und Wirkungsweise (‘Krafttaten’). Natürlich handelt es sich bei Wundern um ungewöhnliche Ereignisse, die Aufsehen erregen. Aber wirklich gewundert hätte man sich erst angesichts einer Welt, die keine Wunder kennt oder gar die Möglichkeit von Wundern geleugnet hätte.

Dazu aber lag kein Anlass vor. Die Wirklichkeit von Wundern überhaupt wurde nicht bestritten. »

Alors, à l’époque biblique, l’explication du monde par le miracle était science comme aujourd’hui est science ce qui s’explique à travers l’expérience, l’observation, la description et les théories scientifiques.

Que serait donc un miracle pour notre pensée scientifique moderne, sans sortir du scientifique, tel qu’il est compris aujourd’hui ?

Une raison qui défie la raison, plus puissante que ce qui est d’habitude considéré comme raisonnable ! Un signe qui vient d’ailleurs, qui bouleverse ce que je considère comme raisonnable, sans sortir de notre raison raisonnable ! Un acte, a priori fou, qui prouve qu’est possible ce qui est considéré comme impossible, improbable, impraticable !

La raison, ce qui est naturel, veut que le fort soit plus fort que le faible, que le riche domine le pauvre et le grand le petit ; tout cela, n’est-ce pas raisonnable ? La raison rend fou celui qui dérange la raison, le qualifie d’irrationnel et de déraisonnable. La raison écarte la folie et l’enferme. La raison se protège contre tout ce qui n’est pas raison, même ce qui a raison, contre la raison, contre la majorité, contre ce que nous appelons le sens commun. La raison impose sa loi, sa logique, ses règles. Ma raison, j’ai raison !

C’est alors un miracle quand une autre raison l’emporte sur la raison, sur celle qui domine, ma raison. C’est un miracle quand l’amour l’emporte sur la raison, la vie sur l’argent, les intérêts de l’autre sur les miens, ceux de la minorité sur ceux de la majorité. C’est un miracle quand la culture l’emporte sur la nature humaine, l’effort commun, dans l’intérêt de tous et tout particulièrement du plus faible, sur les intérêts particuliers, notamment sur les intérêts de ceux qui savent mieux défendre leurs intérêts. C’est un miracle quand l’argent sert l’homme, et pas l’homme l’argent, le collectif l’individu, l’État le citoyen, le pouvoir l’impuissance et l’institution la personne. C’est un miracle quand l’indigène défend l’étranger, le blanc le noir et le noir le blanc, l’homme la femme et la femme l’homme. Tout cela n’est pas habituel, ce n’est pas raisonnable, bouleverse l’ordre naturel des choses. Raisonnables, naturelles et normales sont la lutte et la concurrence, la victoire du plus fort.

Et pourtant, il est possible, qu’il y a, de temps en temps, de ces miracles, des petits et des plus grands, sans que changent ou soient suspendues les lois de la nature. C’est juste savoir donner raison à ce qui n’est pas raisonnable, mais juste et bon, sans autre raison. Juste et bon, en soi, sans raison, je l’appelle Dieu. C’est la raison pour laquelle l’éthique et l’esthétique sont transcendantes.

p. 15 « Dies alles bedeutet aber: Die Wunderfrage war für den antiken Menschen keine Glaubensfrage, das Wunder kein Gegenstand des Fürwahrhaltens. Das Phänomen ‘Wunder’ war ihm als solches mit seinem Weltbild gegeben. »

Quelle serait donc la vision du monde, „das Weltbild“, qui intègre le miracle tout en restant scientifique ?

Une piste :

« Il est clair que l’éthique ne se laisse pas énoncer. L’éthique est transcendantale. (Éthique et esthétique sont une seule et même chose.) »

Ludwig Wittgenstein ; Tractatus logico-philosophicus 6.42

Et c’est la raison (!) pour laquelle chaque acte bon et chaque œuvre d’art est un petit miracle.

Armin Kressmann 2010


[1] Wunder und Glaube, Neukirchener Verlag, Neukirchen 1970

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