Les discordances du moi (Simone Romagnoli) : Unité personnelle transductive

« Qui suis-je maintenant ? »

Simone Romagnoli commence son étude[1] sur l’identité avec la question de Sally, une femme transplantée du cœur.

Qui suis-je après l’accident, la maladie, l’opération, l’attaque qui a touché mon cerveau ? Même : suis-je encore quelqu’un, voire suis-je encore ? Ce sont  des questions récurrentes que nous adressent les patients d’un hôpital de neuroréadaption comme celui de Lavigny.

Et quand il s’agit de handicap mental, la réponse classique qui fait dépendre l’identité personnelle de la pensée et de l’intelligence, de la capacité de raisonnement et de réflexion (Locke) nous mène droit dans l’impasse. L’être de ces personnes est mis en doute, leur identité, leur raison d’être. Cependant, ce qui s’appelle démence nous guette tous.

Simone Romagnoli, dans son parcours à travers l’histoire de la pensée philosophique sur l’identité et son étude de témoignages de patients qui ont subi des changements profonds dans leur corps (transplantations, blessures, pertes), nous propose sa réponse, opérationnelle celle-ci pour tout être humain, voire tout être muni d’un cerveau (ce qui nous permettrait peut-être d’articuler son travail avec celui de Martha Nussbaum[2]) : « l’unité personnelle transductive ».

  • « L’identité de l’être humain en tant que personne (selon une conception unifiée de la personne reposant sur l’image du corps)
  • L’unité transductive de l’être humain en tant que personne  … : ce qui signifie qu’il faut sortir d’une logique identitaire où la personne (le moi conscient) n’est qu’une chose (substantielle) habitant le monde objectif et de ce fait véhicule une conception ‘impersonnelle’ et ‘stable’  de la personne – mais aussi où la personne n’est qu’un pur esprit, une subjectivité auto-fondationnelle -, pour aller vers une nouvelle conception qui s’écarte de l’idée que l’on puisse déterminer positivement l’essence de la personne individuelle et singulière. » (p. 123s)

« Les discordances du moi » est un livre à recommander à tous ceux et celles qui travaillent avec des personnes en situation de maladie ou de handicap touchant notamment le cerveau, autant les spécialistes de la neuroréadaptation que les accompagnants et thérapeutes s’occupant de personnes mentalement handicapées. Il articule corps et esprit d’une manière nouvelle et originale, passant de l’un à l’autre entre médecine, bioéthique et philosophie. Il défie aussi le théologien que je suis : « l’unité », dans mon domaine à moi, ne s’appelle-t-elle pas « Dieu », ce que Simone Romagnoli appelle « personne » ou « personnel » Jésus de Nazareth, Jésus Christ, et la « transductivité » Esprit Saint ? Notre théologie de la Trinité pourrait s’en inspirer.

Les discordances du moi, Simone Romagnoli, couverture

Les discordances du moi, Simone Romagnoli, Lettre CEERE septembre 2011

Armin Kressmann 2011


[1] Les discordances du moi ; Essai sur l’identité personnelle au regard de la transplantation d’organes ; Presses Universitaires de Nancy, Nancy 2010

[2] Frontiers of justice ; Disability, Nationality, Species Membership ; Harvard University Press, Cambridge 2007

« Moral individualism … makes two claims … : first, the claim that differences of capacity affect entitlements not by creating a hierarchy of worth or value, but only by affecting what can be a good or a harm to a creature ; second, the claim that species membership itself is of no significance in affecting what can be a good or harm to a creature – only the capacities of the individual count.” (p. 360)

 

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