Significations du handicap mental 10 – La forme

Significations du handicap mental : 10 La forme

Pour moi, le fond et la forme d’un travail comme celui-ci sont étroitement liés :

  1. par le cercle herméneutique entre terrain et ré-flexion
  2. et, à l’intérieur de la réflexion, par ce qu’on peut appeler le tiers,
    1. le choix des références
    2. et la structure de l’approche.

En principe, pour juger l’ensemble de mon travail, il serait nécessaire de prendre aussi et surtout en considération mon travail comme aumônier d’une grande institution sociale, où, avec les moyens limités qui sont les nôtres, l’aumônerie essaie d’être un lien entre les différentes sphères (hôpital, soins, médecine ; école, enseignement, éducation ; hébergement, accompagnement, éducation, soins ; intendance, services techniques, administration, etc.) et les différents niveaux institutionnels (patients, élèves, résidents ; accompagnants, soignants, thérapeutes ; services et départements ; directions et direction général ; fondation ; réseau des institutions sociales et État), d’habiter ce lien, lui donner corps, et de lui donner du et des sens, fonction par excellence spirituelle (« paracletique, pneumatologique »).

S’ajoutent aux activités traditionnelles de la pastorale et de la vie cultuelle (la dimension spécifiquement religieuse de notre travail) la présence dans les réseaux (la dimension éthique, appliquée et fondamentale, pour moi « professionnelle » dans le double sens de ce terme, mais aussi théologique, notamment sous sa forme paradoxale, « négative » dirait peut-être la tradition) et la collaboration dans des projets pédagogiques et culturels (la dimension spirituelle et ludique). L’ensemble s’inscrit dans ce que j’appelle l’âme, la spiritualité, l’esprit ou l’identité de l’institution sociale.

Une conséquence de mon approche existentielle et phénoménologique est la difficulté d’attribuer mon travail à l’une ou l’autre discipline théologique. Elle est autant pratique que systématique, éthique que sociologique ou politique, appliquée que fondamentale.

Le rapport étroit avec les autres acteurs de l’accompagnement et des soins se reflète aussi au niveau des références et des auteurs retenus dans mon travail. Le choix est plus empirique et pragmatique que systématique, en fonction de ce qui surgit du terrain et des collaborations, de nouveau, dans une logique de réseau, donc systémique, autant philosophique que théologique, et, si théologique, pas forcément venant de théologiens reconnus comme tels.

Cette réalité, – qui est une réalité de vie et plus récolte que projet (donc profondément re-ligieuse, un « re-cueillement ») -, m’a amené à rompre avec la forme traditionnelle d’une dissertation qui développe son sujet dans une logique plutôt linéaire et à oser le pas vers une forme systémique qui assume le fait que ce que nous vivons et faisons, et pas seulement dans le secteur du handicap, n’a pas quelque part un début et quelque part ailleurs une fin et une conclusion. Au contraire, par rapport au handicap, quitter cette pensée causale et linéaire qui, à partir d’une affection physique (cérébrale ou autre), mène l’individu à être étiqueté et stigmatisé « handicapé, fou, triso, imbécile, arriéré » ou autres, est un des tous grands défis. C’est le contexte, le système, qui fait d’une personne telle qu’elle est une personne handicapée.

Ma dissertation

dissertare « discuter, exposer » ; dis- indiquant la séparation, la différence, le défaut … de serere « enchaîner, unir » (Dictionnaire culturel en lange française ; Le Robert, Paris 2005)

prend la forme d’un réseau, – toile ou tissu, donc texte.

Ce que je cherche à discerner et à remettre au lecteur est une « toile de fond », dans une sorte de jeu (de langage), m’inspirant, à tort ou à raison, de Ludwig Wittgenstein pour qui, selon Jean-Claude Piguet (Où va la philosophie – et d’où vient-elle ? ; Baconnière, Neuchâtel1985, p. 120),

« communiquer, c’est échanger des ‘signes’ de langage, mais ces signes deviennent l’équivalent de jetons posés sur la table de jeu, toute la question étant de savoir à quoi jouent ceux qui sont assis autour de la table ».

J’invite le lecteur à s’asseoir avec moi à la même table, à jouer avec moi, et eux, à se promener librement dans la toile qui est exposée devant nous, comme un plan de jeu, à s’arrêter où il voudra et à apporter son commentaire, son jeton, là où cela lui semble utile et nécessaire. C’est pour cela qu’est fait la possibilité d’apporter des commentaires sur le site Internet. L’ouverture à une lecture et une réécriture infinies est une conséquence voulue de cette façon de faire ; ce travail ne se veut pas clos.

Je ne sais pas si je me retrouve dans le serment des athlètes de « Special Olympics », mais je le livre au lecteur et à la réflexion commune :

« Que je gagne. Mais s’il m’est impossible de gagner, que je fasse preuve de courage dans mes efforts. »

Ces mots étaient prononcés par les gladiateurs romains lorsqu’ils pénétraient dans l’arène, avant la plus grande épreuve de leur vie. Nos athlètes prononcent le serment lors des cérémonies d’ouverture de chaque compétition pour rappeler à chacun, y compris eux-mêmes, qu’ils font partie d’une tradition de courage et que le but est de placer toute leur énergie dans la compétition et de faire preuve de courage en repoussant toujours plus loin leurs propres limites.

L’arène, pour moi, en l’occurrence, où je gagne ou je serai dévoré, est la faculté.

Armin Kressmann 2011

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