Éducation et spiritualité 4 : Qui suis-je ? Un autre ? « Unité personnelle transductive »

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« Grandir » et « diminuer » reflètent en soi déjà une certaine vision de la vie ; c’est le physique (le bio) qui s’impose aux autres dimensions de l’être.

On pourrait concevoir la vie autrement, prendre une autre des dimensions de l’être humain comme dominantes et revoir ainsi « grandir » et « diminuer » tout autrement ; ou, encore, on pourrait même abandonner la qualification « plus grand », « plus petit ». Quand est-ce que je suis moi-même ? Toujours, jamais, passagèrement, ponctuellement ? Quand est-ce que ce « Soi » (« self », « Selbst ») est-il réalisé, quand est-il aliéné ? Et quand nous parlons de guérison, voire de miracle de guérison, c’est quoi qui devrait être guérie : un trisomique de sa trisomie, un autiste de son autisme, un homme de sa masculinité et une femme de sa féminité ? Ou, au contraire, s’agirait-il d’une pleine réalisation de la féminité, de la masculinité, de « l’autisticité » et de la « trisomicité »[1] ? S’agit-il réellement d’une réalisation d’un soi substantiel, quel qu’il soit, dans un sens de développement ou de construction, ou de cheminement d’acceptation de quelque chose qui est donné et se modifie ? Devrai-je être différent ou autrement pour devenir et être moi-même ? Ne suis-je pas moi ? Soi-même comme un autre ?

Abraham Maslow[2] dit :

 « Un homme doit être ce qu’il peut être. Ce besoin, nous lui donnons le nom d’accomplissement de soi.

(Cette expression) … renvoie au désir de réalisation de soi, c’est-à-dire la tendance de l’individu à devenir actualisé dans ce qu’il est … Cette tendance peut être formulée comme le désir de devenir de plus en plus ce que l’on est, de devenir tout ce que l’on est capable d’être. » (p. 33)

… dans notre société, les individus foncièrement satisfaits sont l’exception, nous ne savons que peu de choses de l’accomplissement de soi … » (p.34)

Maslow lui-même reconnaît donc la difficulté de cerner ce « Soi » et son « accomplissement » qui nous posent problème, à nous aussi. Il y a quelque chose qui est, tel qu’il est, donc donné, et quelque chose qui peut devenir ou disparaître, se développer, se construire et se déconstruire. Et le soi semble être composé ou modulé par les deux. Son accomplissement pourtant est de l’ordre de l’idéal et il a davantage à faire avec sa reconnaissance et son estime qu’avec sa réalisation.

Simone Romagnoli[3], à partir des effets physiques, psychologiques et mentaux produits par des transplantations d’organes, parle « d’unité personnelle transductive », d’une « conception unitaire » et d’une « ‘ontologie autre’ empreinte de métastabilité » de la personne, d’un « être une personne » qui renvoie à la

 « capacité de percevoir (consciemment et/ou inconsciemment), de structurer et de donner uns sens aux vécus sensoriels (kinésthétiques et autres) affectifs et pulsionnels, ainsi qu’aux vécus relationnels. Cette capacité se fonde sur l’image du corps constitutive de chaque individualité. » (p. 331)

Quand il postule :

 « Il serait ainsi judicieux, au sens d’une anthropologie philosophique qui se donne également une visée éthique, de considérer les nouveaux-nés, les malades d’Alzheimer et les personnes en situation de handicap mental, comme étant des personnes à part entière, dans la mesure où elles ont une image du corps. » (p. 331)

il faudrait à mon avis aussi postuler que tous ces êtres qu’il mentionne ont, consciemment et/ou inconsciemment, une image de leur corps, et que le travail premier et primordial à faire avec eux devrait se situer au niveau du corps dans la perspective de leur identité, au niveau de cette image du corps. Nous rejoignons ainsi les considérations faites par Georges Saulus sur la « conception structurale du polyhandicap ». Cela implique pour nous, en l’occurrence intéressés à la dimension spirituelle de l’être humain, de suspendre tout ce qui veut nourrir directement cette réalité, réelle ou postulée, que nous appelons âme ou esprit, et l’identifier, du côté de notre vis-à-vis, avec son vécu corporel. Tout travail au niveau du corps a sa dimension spirituel : « mon corps est mon âme ». Celui qui est celui qui est, qui était et qui sera. Faire l’expérience de ce qu’il est « essentiellement », de son « Soi », ne peut être dissocié de ce qu’il offre lors de la rencontre et du cheminement avec lui ; ce qu’il révèle et offre de lui phénoménologiquement pourrait être ce qu’il est. Ceci nous rappelle la révélation du nom de Dieu, selon le livre de l’Exode, quand Moïse interpelle Dieu en lui demandant :

 « Je leur dirais : Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. S’ils me disent : Quel est son nom ? que leur dirais-je ? »

Dieu dit à Moïse : ‘JE SUIS QUI JE SERAI.’ » (Bible, Livre de l’Exode, chapitre 3, verset 14, selon la traduction de la TOB)

et le commentaire de la TOB (a) ajoute :

 « On peut comprendre : Je suis qui je suis, c.-à-d. je ne veux pas ou je ne peux pas dire qui je suis. »

L’autre en tant que tel nous échappe toujours (théologie et anthropologie négatives), et ce que (ou qui) je suis m’échappe peut-être à moi-même et ne se manifeste qu’à travers ce que je vis, ce que je dis et je fais, à moi-même et aux autres. Il est donné, je dois « faire avec » ; cependant, en le recevant (comme révélation de moi-même, comme autre), je peux, dans la mesure de mes capacités, le moduler :

« unité personnelle transductive », l’I et l’A, l’identité et l’appartenance du STIV-AR, appartenance à quelque chose ou quelqu’un que je ne maîtrise pas, donc hétéronomie, dépendance qui me module aussi, l’histoire, la filiation, le contexte, le milieu, les autres, etc.

Nous entrons ainsi dans une dynamique qu’on retrouve au niveau d’une théologie de la Trinité :

  • l’unité, le Père
  • personnelle, Dieu qui se révèle dans son humanité, le Fils
  • transductive, dans la dynamique de l’Esprit

un seul Dieu, une nature, se donnant différemment en fonction des circonstances, mais irréductible à ce qu’il donne de lui-même.

D’autres parlent de la dignité humaine, l’être humain individuel irréductible à ce qu’il donne à voir et percevoir de lui-même.

Armin Kressmann 2012


[1] Quand j’introduis ces concepts un peu absurdes, je pense à la « négritude » ou la « Krüppelbewegung » qui revendiquent un statut d’être propre. Je on rejette catégoriquement de telles approches, est-ce que « feminité » et « masculinité » ont-elles encore raison d’être. Je suggèrerais aussi de rependre de telles réflexions à travers des conceptions comme communautarisme et libéralisme.

[2] L’accomplissement de soi, de la motivation à la plénitude ; Eyrolles, Paris 2004, p. 15ss

[3] Les discordances du moi, Essai sur l’identité personnelle au regard de la transplantation d’organes ; Presses universitaires de Nancy, Nancy 2010

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