Rawls et le handicap mental

Par rapport aux enjeux qui nous préoccupent, – autonomie et handicap -, un des tout grands défis est et sera encore davantage dans l’avenir de tenir ensemble les différentes dimensions de l’autonomie. Il n’y a pas seulement la pluralité des valeurs et la multiculturalité à prendre en considération, mais aussi l’interdépendance de plus en plus grande entre ce qui se passe en politique globale, économie, technique, médecine, éducation et pédagogique, vie sociale et associative, média, etc., avec les choix personnels à faire. Je rappelle seulement les enjeux de la médecine reproductive, du diagnostic prénatal, des thérapies génétiques et de la technoscience[1] en général. Ainsi, l’autonomie politique, morale et personnelle sont étroitement liées et, comme J. Dewey l’a montré, le public et le privé ne se laissent pas mettre en bipolarité comme on a tendance à le faire dans l’actualité publique, notamment par rapport à ce qui se passe dans les finances publiques.

Par là, des auteurs comme John Rawls, qui établissent des grandes théories sociales et politiques, ont une peine considérable de joindre les deux bouts, les choix sociétales et les les possibilités et les décisions personnelles de chacun. Souvent, ils sont démunis face à des situations personnelles exceptionnelles comme le handicap grave. Ainsi, Rawls l’admet lui-même :

« Je n’ai pas examiné les cas les plus extrêmes, mais ce n’est pas pour dénier leur importance. J’estime qu’il est évident, et admis par le sens commun, que nous avons un devoir envers tous les êtres humains, quelle que soit la gravité du handicap qui les touche. La question porte sur l’importance de ces devoirs lorsqu’ils entrent en conflit avec d’autres revendications. Il nous faut envisager d’examiner si la justice comme équité peut être étendue pour produire des orientations dans ces cas, et sinon, si elle doit être rejetée plutôt que complétée par une autre conception. Il est prématuré d’aborder ici ces questions. La justice comme équité est présentée surtout comme une tentative de formulation d’une position claire et précise de ce qui a été la question fondamentale de la philosophie politique dans la tradition démocratique : quels sont les principes les plus appropriés pour spécifier les termes équitables de la coopération lorsque la société est conçue comme un système de coopération entre citoyens conçus comme libres et égaux, et comme des membres normaux et pleinement coopérants de la société pendant une vie complète ? Une méthode qui nous permet de traiter cette question d’une manière praticable vaut sans doute d’être recherchée. Je ne sais pas dans quelle mesure la justice comme équité peut être étendue avec succès pour s’appliquer au type de cas les plus extrêmes. »

Justice comme équité p. 239, note 59.

Rawls renvoie ensuite à Amartya Sen[2] et se demande si à travers la critique et les remarques de celui-ci sa propre théorie peut être complétée. A reprendre plus tard.

De ma part, je dirais volontiers qu’une théorie qui se veut libérale dans le sens kantien et rawlsien doit être applicable à tout être humain. La piste que je propose est quintuple :

  1. Il faut affiner, développer et compléter les  principes d’une « théorie de la justice comme équité » en introduisant « l’avocature ». C’est par l’intermédiaire de « représentants » que les déficits peuvent être comblés et l’autonomie du patient ou du résidant restituée.
  2. A ces représentants il faut donner la place qui leur conviendrait, pleinement à côté des personnes dont ils ont les intérêts à défendre. Il faut les former pour cette tâche et faire en sorte qu’ils remplissent leur mandat non pas dans une perspective paternaliste, mais vraiment libérale.
  3. Ainsi, il faut aussi qu’ils se limitent aux aspects déficients et évitent à prendre toute la place de leur « pupille ». Cela veut dire qu’on n’a pas besoin de tuteurs, mais de curateurs, juste pour les domaines manquants (type « curatelle de soins », « curatelle financière et administrative », etc.)[3]. Et si on envisageait plusieurs personnes pour différents aspects ?
  4. Cet accompagnement multiple, par des professionnels et des curateurs, devrait être évolutif, en fonction de l’évolution de l’état du patient ou du résidant.
  5. Existerait-il une sorte de « paternalisme libéral » ?

Armin Kressmann, mémoire en éthique, 2005


[1] G. Hottois, Technoscience et sagesse ? Bruxelles 2000

[2] A. Sen, Inequality Reexamined, Cambridge Mass. 1992

[3] Ce qui impliquerait une modification du Code civil. cf. plus haut

Justice comme équité p. 239, note 59.

Armin Kressmann, mémoire en éthique, 2005

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