Kant et le handicap mental

Il est indéniable que les personnes handicapées mentales ont un déficit d’autonomie, dans le sens d’une difficulté dans leur capacité de se donner leurs propres lois et règles d’action. Elles ont encore moins la possibilité d’en faire une loi universelle. Pourtant, une fois intégrée une règle ou une loi, souvent, elles l’appliquent avec une rigueur accrue. Aussi, leur volonté comme leur sens du devoir, sont très développés. Il n’est pas vrai qu’elles agissent par seule inclinaison, ou peur ou instinct ou égoïsme. Au contraire, leur sens moral, leur sens pour ce qui est bien et leur sens de la justice, universelle, dans le sens kantien, – à l’intérieur de leur horizon de raisonnement c’est vrai -, peut être très prononcé, plus même que chez la majorité des personnes dites « normales », qui sont, en tout cas chez nous, généralement plus utilitaristes et hédonistes.

« Etre soumis autant à sa propre législation qu’à la législation universelle … est le principe de l’autonomie de la volonté ».

Le déficit n’est ni dans le sens du devoir, ni dans la volonté, même pas dans la faculté de respecter la loi, elle est plutôt du côté de la créativité (de se donner ses propres lois), et on peut se demander pourquoi. En bonne partie, c’est sûr, à cause du déficit mental ; ce qui est produit n’est pas forcément coordonné et cohérent, selon nos critères, et complique la vie plus qu’il l’allège. Mais il faut aussi dire qu’à chaque fois que ces personnes prennent la liberté « d’essayer », de faire autre chose que ce qu’est et fait « loi », – coutumes et règles appliquées sans toujours être bonnes et encore moins universelles (en institution on entend souvent « chez nous il y a des règles », règles parfois établies sans questionnement du sens, mais par des raisons utilitaires) -, elles risquent d’être réprimandées, mises à l’ordre, voire maltraitées, avant toute possibilité même d’en faire une loi plus « universelle » (p.ex. admises sur l’entier du groupe de vie ou dans un département, voire dans l’ensemble de l’institution ou même au-delà). Leurs tentatives de faire preuve d’autonomie, trop souvent, sont étouffées. Ont-elles suffisamment de liberté pour créer leurs propres lois, lois qui pourraient être universalisables, si on les laissait faire ?

Alors, je me demande parfois, sont-elles plus kantiennes, ces personnes, que nous, qui faisons respecter des règles, non pas par autonomie, mais par un mauvais utilitarisme, non pas en vue du bien-être pour tous ou du plus grand nombre, ce qui serait du vrai utilitarisme, mais en vue de notre paix à nous ou par pur égoïsme ?

En résumé :

Pour que le principe d’autonomie selon Kant soit pleinement opérationnel, nombreuses sont les conditions de cadre qui doivent être réunies, de la bonne volonté à la raison, du sens du devoir à la liberté. Une personne malade ou handicapée, pour qu’elle puisse user de cette autonomie, est-elle à la hauteur des exigences ? Et l’environnement qui l’encadre ou la prend en charge, est-il à la hauteur quand quelqu’un arrive avec toutes ces exigences et y répond personnellement encore ?
Mais avons-nous le choix ?

Armin Kressmann, mémoire en éthique, 2005

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