Handicap mental : l’autonomie et le droit suisse

En droit suisse, le terme « autonomie », – du grec auto nomos, se donner sa propre loi -, ne figure en général que dans des textes concernant des institutions (des « publics », J. Dewey, ou des « associations », M. Walzer) comme les communes, les Eglises, l’Etat, les universités et les écoles polytechniques, etc.[1] En principe, c’est une évidence ; l’individu n’a qu’une autonomie personnelle ou morale, pas juridique ; en droit, il a des droits, des libertés et des obligations. L’individu en tant que tel n’est pas « législateur », si ce n’est que, en principe, par rapport à lui-même et à l’intérieur de la loi valable pour tout le monde. Seulement dans ce cadre, personnel[2] et moral[3], est-il autonome, a-t-il « la liberté[4] d’être son propre législateur, de s’imposer ses propres règles et de les respecter en toute liberté ? En découle le principe de l’autodétermination, la possibilité de décider soi-même quand, où et comment on veut agir et en l’occurrence se limiter. Au sens moral, l’autonomie est le droit, la faculté et le pouvoir de décider ce qui, pour soi-même, est juste et bon ! ».[5]

Du principe d’autonomie découlent l’autodétermination[6] et par là, en bioéthique, le consentement éclairé. Une condition en est la « capacité de discernement », et pour celle-ci, la « faculté d’agir raisonnablement ». Ainsi, le Code civil suisse stipule :

Art. 11 (Capacité passive)

A. De la personnalité en général

I. Jouissance des droits civils

1 Toute personne jouit des droits civils.

2 En conséquence, chacun a, dans les limites de la loi, une aptitude égale à devenir sujet de droits et d’obligations.

Art. 12 (Capacité active)

II. Exercice des droits civils

1. Son objet

Quiconque a l’exercice des droits civils est capable d’acquérir et de s’obliger.

Art. 13

2. Ses conditions

a. En général

Toute personne majeure et capable de discernement a l’exercice des droits civils.

Art. 16

d. Discernement

Toute personne qui n’est pas dépourvue de la faculté d’agir raisonnablement à cause de son jeune âge, ou qui n’en est pas privée par suite de maladie mentale, de faiblesse d’esprit, d’ivresse ou d’autres causes semblables, est capable de discernement dans le sens de la présente loi.

Art. 16

d. Urteilsfähigkeit

Urteilsfähig im Sinne dieses Gesetzes ist ein jeder, dem nicht wegen seines Kindesalters oder infolge von Geisteskrankheit, Geistesschwäche, Trunkenheit oder ähnlichen Zuständen die Fähigkeit mangelt, vernunftgemäss zu handeln.

Important en vue de la question de l’application et de l’applicabilité du principe d’autonomie aux patients et aux résidents dont il est question est l’enchaînement suivant :

Raison

Autonomie

Autodétermination

« Faculté d’agir raisonnablement »

Capacité de discernement

Discernement

Consentement éclairé

Ce qui donne pour « Malades mentaux et faibles d’esprit » :

Déficit de raisonnement (déraison ?)

Handicap d’autonomie

Incapacité d’agir raisonnablement

Incapacité de discernement

En suit, pour ces personnes déficitaires de raisonnement, que le principe d’autonomie est, en partie en tout cas, inopérable ; d’où l’autre, celui de bienfaisance ou, si on veut maintenir comme priorité le principe d’autonomie, l’avocature, le « représentant d’autonomie », le « tuteur »[7], le « représentant légal» restituant la partie d’autonomie manquant.

Question, dans ces cas-là, si nous nous inspirons de la bioéthique classique : qu’en est-il avec la justice et l’équité ?

Ici, probablement, nous sommes au cœur du problème :

  1. La faculté d’agir raisonnablement et la capacité de discernement (est-ce synonyme ? « urteilsfähig » égal « Fähigkeit, vernunftgemäss zu handeln » ?) sont données : le principe d’autonomie est prioritaire, sous condition, bien sûr, de « l’éclairage » dont le patient a besoin pour « consentir ».
  2. La faculté d’agir raisonnablement n’est pas donnée :
  • Il y a volonté de maintenir le principe d’autonomie comme prioritaire : Il faut agir à travers un « avocat » ou « tuteur » qui rétablit l’autonomie en défendant les intérêts de son client ou pupille. … nous restons dans le régime libéral
  • On met en avant la bienfaisance, et c’est la logique paternaliste qui l’emporte.
  • Sauf si l’intervenant, – médecin, soignant, thérapeute, éducateur, assistante sociale, etc. -, à partir de sa vision des choses, applique le critère de justice et d’équité (impératif catégorique) et fait comme il ferait étant à la place du patient ou résidant.

i.     Par principe d’autonomie, c’est-à-dire dans une logique libérale
ii.     Par principe de bienfaisance, c’est-à-dire dans une logique paternaliste (peut-on être son propre paternaliste ? tendanciellement je dirais oui : quand c’est le « bien », mon bien, qui l’emporte sur le « juste », une attitude téléologique, utilitariste, en opposition avec une attitude déontologique).

Dans quelle mesure, ces dernières options se distinguent-elles ? La perspective n’est pas la même : une fois l’intervenant projette (il garde sa position extérieure, il « com-prend »), l’autre fois il s’identifie (empathie ? il « ver-steht ») ?

A voir[8] !

Armin Kressmann, mémoire en éthique, 2005


[1] Une exception notable est la Constitution vaudoise précitée ; elle parle de l’autonomie des personnes handicapées. Il serait intéressant de voir ce que ça donne dans les lois d’application.

[2] « Personal autonomy is meant as a trait that individuals can exhibit relative to any aspects of their lives, not limited to questions of moral obligation », J. Christman, Stanford Encyclopedia of Philosophy, plato.stanford.edu, Autonomy in moral and political philosophy, Stanford 2003

[3] « Moral autonomy refers to the capacity to impose the (objective) moral law on oneself, and, following Kant, it is claimed as a fundamental organizing principle of all morality », J. Christman

[4] En principe, nous devons distinguer autonomie et liberté:

« Personal (or individual) autonomy should also be distinguished from “freedom”, although again, there are many renderings of these concepts, and certainly some conceptions of positive freedom will be equivalent to what is often meant by autonomy. Generally, one can distinguish autonomy from freedom in that the latter concerns the ability to act, without external or internal constraints and also (on some conceptions) with sufficient resources and power to make one’s desires effective. Autonomy concerns the independence and authenticity of the desires (values, emotions, etc.) that move one to act in the first place. Some distinguish autonomy from freedom by insisting that freedom concerns particular acts while autonomy is a more global notion, referring to states of a person. », J. Christman

[5] A. Kressmann, L’autonomie du patient – mythe ou réalité ? Lausanne 2004

[6] « La capacité de faire ses propres choix et de conduire se actions sans contrainte. », G. Durand, p. 227

[7] Code civil Art. 367, 369, 406, 407

[8] Le « modèle de Moeckli » pourrait nous aider dans cette abstraction : la position paternaliste étant en haut, le mouvement d’autonomie partant du bas, de là où se trouve le patient ou le résidant, la position haute pourrait aussi être « autonome libérale » comme méta-position où le haut ne projette plus vers le bas (ce qui serait justement paternaliste), mais se dé-place (« ver-steht ») mentalement par l’em-pathie et se regarde en quelque sorte lui-même (étant à haut se pensant en bas). D’où la question « peut-on être son propre paternaliste ? »

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