Le handicap – au centre de l’éthique

« La première apparition du nouveau, c’est l’effroi. » (Heiner Müller ; cité par Slavoj Zifek ; Fragile absolu ; Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? ; Flammarion, Paris 2008, p. 229 )

« … aucune éthique ne peut se permettre de laisser hors de soi une part de l’humain, si ingrate soit-elle, si pénible à regarder. » (Giorgio Agamben ; Ce qui reste d’Auschwitz ; Homo Sacer III ; Payot & Rivages, Paris 2003, p. 68)

« … ‘aimer son prochain’ » … Cette injonction n’interdit rien ; elle appelle plutôt à une activité par-delà les restrictions de la Loi en prescrivant d’en faire toujours plus : d’’aimer’ notre prochain non tant dans sa dimension imaginaire (comme notre semblant, l’image au miroir, au nom de l’idée du Bien que nous lui imposons – car en l’aidant ‘pour son bien’, c’est en fait notre idée de ce qui est bien pour lui que nous suivons) ; non tant dans sa dimension symbolique (le sujet abstrait et symbolique des Droits) ; mais comme l’Autre dans l’abîme même de son Réel, l’Autre dans sa dimension de partenaire à proprement parler inhumain, ‘irrationnel’, radicalement méchant même, capricieux, révoltant ou dégoûtant … bref, par-delà le Bien. Cet Autre-ennemi ne doit pas être puni (comme l’exige le Décalogue), mais au contraire considéré comme le ‘prochain’. » (Slavoj Zifek ; Fragile absolu ; Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? ; Flammarion, Paris2008, p. 163)

Le monde du handicap est plein de situations extrêmes. L’être humain s’y dévoile dans toutes ses dimensions, la condition humaine se déploie dans toutes ses facettes. Exception, pour les uns, veut dire en dehors, « loin des yeux, loin du coeur », détourner le regard, parce que ce que je ne vois pas n’existe pas et ne me préoccupe pas. Pour les autres, dont je fais partie, l’exception renvoie au centre et l’éclaire, le révèle même, « apocalypse ». Pour établir une normalité, les extrêmes font partie d’une série, et « la série est toujours une série d’exceptions » (Slavoj Zizek suite à Jacques Lacan) :

« … Lacan a développé la logique du ‘pas tout’ et de l’exception constitutive de l’universel[1]. Le paradoxe de la relation de la série (des éléments appartenant à l’universel), son exception ne réside pas seulement dans ‘l’exception fondant la règle [universelle]’, dans l’exclusion d’une exception impliquée par chaque série universelle (chaque homme a des droits inaliénables – à l’exception des fous, des criminels, des primitifs, des enfants …). L’aspect proprement dialectique réside plutôt dans la manière dont la série et l’exception coïncide directement : la série est toujours une série d’’exceptions’, d’entités qui présentent une certaine qualité exceptionnelle qui les qualifie comme relevant de la série (des héros, des membres de notre communauté, des citoyens réels …). Rappelons la liste classique des femmes conquises par le séducteur : chacune est ‘une exception’, chacune a été séduits en vertu d’un je ne sais quoi qui la faisait relever da la série ; la série est précisément la série de ces figures exceptionnelles … » (Slavoj Zifek ; Fragile absolu ; Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? ; Flammarion, Paris2008, p. 170)

La définition du dedans et du dehors, de ce qui fait partie de la normalité et de ce qui ne le fait pas, est arbitraire. L’exemple du retard mental défini (en partie) par le QI l’illustre bien. La normalité est une moyenne, personnes avec retard mental et personnes surdouées en sortent, et peuvent, déjà par ce simple fait, se retrouver en situation de handicap.

Armin Kressmann 2010


[1] Voir J. Lacan ; Encore : Le Séminaire ; livre XX, Seuil, Parsi 1975

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