Histoire, religion et handicap

« Je vis ! Ce n’est pas évident. Il y a deux ou trois milles ans, dans le monde gréco-romain, des gens comme moi, touchés dans leur corps, ont été laissés à eux-mêmes. Comme bébés on les a exposés, en dehors du village, remis aux dieux qui, eux, en général ne s’en sont pas occupés. On n’avait pas de chance de survivre, nous.

Pour le monde biblique c’était un peu différent. Nous étions considérés comme impurs, mis à l’écart, toutefois sans être éliminés. Il nous a été interdit de nous approcher du temple et de tout ce qui a été sacré.

‘Sacré’, le mot exprime notre condition de vie : saint et maudit en même temps. Entre deux, ni dehors, ni dedans. Bouffons et fous du roi !

Avec le christianisme, les choses se sont améliorées, c’est vrai, mais sans être résolues. On portait les marques du Christ ; stigmatisés, nous étions objets de la charité chrétienne. Entre deux, sur le seuil de l’église, devant la porte, comme mendiants, dépendants de l’aumône, c’était là notre place.

Pour les Lumières, l’âge classique, nous sommes devenus objets de recherche, et on a tout fait pour nous ‘guérir’, dans ces lieux ‘spécialisés’ venant des anciennes maladreries, les asiles, où se trouvent encore aujourd’hui certaines cliniques, notamment psychiatriques. On y mélangeait tout, tous ceux qui étaient un peu différents, à la marge, marginaux sociaux, malades mentaux, pauvres et certains criminels.

Avec la modernité la médecine a commencé à s’occuper de nous, ce qui, encore aujourd’hui, est toujours l’approche privilégiée.

Pour vous, les ‘bien-portants’, c’est d’abord nous les porteurs de handicap. Pour vous nous sommes des malades, dont la médecine devraient se charger. Pourtant nous savons aujourd’hui que le handicap n’est pas à confondre avec nos incapacités, physiques, sensorielles ou mentales ; le handicap est la résultante de l’interaction entre ce que nous sommes dans notre corps et notre âme avec cet environnement dont vous faites partie. Dans des conditions de vie appropriées nous pouvons vivre comme vous, avec nos forces et nos faiblesses, mais sans handicap ; mais si dans vos représentations nous ne faisons pas partie de votre vie et si vous ne voyez pas les obstacles qui nous empêchent à vivre comme vous avec vous, vous nous handicapez.

Notre handicap, c’est l’autre ! Notre chance aussi ! Vous ! »

Armin Kressmann

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