Il est dans son fauteuil. Il ne sait pas parler. Il ne sait pas marcher. Je le regarde ; il me regarde. Et se décide, en cet instant infime, en quelques secondes, s’il est handicapé.
C’est mon regard qui décide, qui produit ou qui surmonte son handicap.
Si je vois un être humain, une personne comme moi, certes différente, mais humaine comme moi, il n’y aura pas de handicap. Nous trouverons une solution, ensemble, à toutes ces difficultés qui sont les siennes.
C’est vrai, je ne peux pas le renier, il est différent ; son corps n’est pas comme le mien, ses mouvements sont désordonnés, ce qu’il articule, avec peine, n’est pas facile à comprendre.
Mais son regard et son sourire sont comme les miens, nous nous y retrouvons ensemble.
Si je prends du temps, si je cherche à comprendre, si je suis attentif à ses réactions, si je vois quand il est à l’aise et quand il est mal à l’aise, si je reçois ce qu’il me donne, si je m’intéresse à ce que font les autres, ceux qui le comprennent déjà, un peu, un peu plus, nous pouvons cheminer ensemble.
Il n’y aura pas de handicap, malgré toutes ses difficultés.
Au fond, ne suis-je pas dépendant des autres, moi aussi ?
Au fond, moi-même, moi aussi, ne suis-je pas autre que l’image que les autres se font de moi ?
Il y a des bonnes raisons de prendre tout être humain, quel qu’il soit, comme être humain et de le reconnaître comme personne.
C’est la première réponse à la question éthique : que dois-je faire ?
La deuxième ? Réviser mes préjugés ; sinon, ils handicapent autrui, celui que je risque de classer et de déclasser, une fois pour toutes, de figer dans des catégories comme celle du handicap.
Et la troisième ? Cela pourrait m’arriver à moi aussi, aujourd’hui, demain, par un accident, par la maladie, et peut-être le suis-je déjà, handicapé, par le regard des autres, les obstacles qu’ils me mettent sur mon chemin et qui m’empêchent de m’épanouir, d’être à l’aise, dans ma peau, dans ma vie.
Il est là, devant moi, dans son fauteuil, et il m’invite, par son regard, par son sourire, à me dépasser, à me transcender.
Il me renvoie au-delà, au-delà des structures et des systèmes, – des handicaps -, vers cette liberté qui ne se laisse plus handicaper, l’autre en moi.
Le visage d’autrui, le visage du tout-autre, Dieu parmi nous ?
Armin Kressmann