Mon catéchisme
« C’est que, dans la vie comme dans la mort, j’appartiens, corps et âme, non pas à moi-même, mais à Jésus-Christ … », parce que, comme Paul l’a déjà dit: « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur: et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur. Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. »
(Lettre aux Romains 14,8)
Comme moi, vous êtes peut-être encore de la génération pour qui le catéchisme , – le « vrai catéchisme » -, commençait avec ce dialogue, cette question et cette réponse qui ouvrent le Catéchisme de Heidelberg: pour 52 dimanches, 129 questions avec leurs réponses. On partait de là, il fallait les apprendre par coeur, et c’était ainsi pour les réformés du monde entier, pendant quatre siècles.
Il y a 35 ans, moi, j’avais de la peine: les questions du catéchisme de Heidelberg n’étaient pas mes questions. Je ne me sentais pas concerné, touché, appelé. Pour cela, il aurait fallu autre chose: un enracinement dans mon vécu.
Et pourtant, au 16ème siècle, quand ce Catéchisme de Heidelberg a été rédigé, – par deux jeunes théologiens, Gaspard Olevianus et Zacharie Ursinus, sur demande de Frédéric III, prince-électeur du Palatinat -, il a vraisemblablement répondu à des questions existentielles: la misère de l’homme et sa délivrance. Je ne l’ai pas vérifié, mais c’est bien possible.
« Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort? Combien de choses dois-tu savoir pour vivre et mourir dans cette heureuse assurance? Par quoi connais-tu ta misère? Qu’exige donc de nous la Loi de Dieu? Peux-tu parfaitement observer tout cela? Dieu a-t-il donc créé l’homme si méchant et si pervers? D’où vient donc cette corruption de la nature humaine? Mais sommes-nous corrompus au point d’être absolument incapables d’aucun bien et enclins à tout mal? Mais Dieu n’est-il pas miséricordieux? »
Voilà quelques-unes des questions qui, – je l’espère pour eux -, ont préoccupé les jeunes de l’époque. Auquel cas, leur catéchisme partit en plein milieu de leur vie, avec une bible qui parlait leur langue et qui, en plus de leur procurer un savoir, leur permettait aussi, et peut-être surtout, d’apprendre à lire et d’acquérir ainsi une autonomie jamais connue jusque-là par le gros de la population. Alors, le catéchisme de l’époque était révolutionnaire! Il touchait, puis changeait la vie, une vie où la misère, la peur et la mort étaient omniprésentes, et par là aussi la question du salut . Pour le 16ème siècle le Catéchisme de Heidelberg était inductif ! A partir de questions singulières posées par la vie des jeunes, il concluait, – à la lumière des témoignages bibliques et à l’aide de la foi -, à des principes généraux. A partir de la misère vécue, il posait la question du salut et apportait ses réponses bibliques et doctrinales .
Seulement, pour moi étant jeune, ce qui a été inductif il y a quatre siècles, était devenu déductif. J’étais confronté aux réponses à des questions que je ne me posais pas. Je devais me battre avec des principes généraux, une doctrine, que j’avais de la peine à saisir et à traduire dans mon vécu. Pour moi le Catéchisme de Heidelberg était déductif! Il passait par-dessus ma tête, tombait du ciel sans me toucher. Il partait d’un point de départ pour moi absolu et incompréhensible pour en déduire ce que je devais croire, dire et faire, et cela dans un langage qui n’était pas le mien. Les mathématiques, c’était plus simple!
Restaurer un catéchisme révolutionnaire et libérateur
Depuis ma jeunesse, heureusement, le catéchisme a bien évolué. Il est devenu plus interactif et plus pédagogique. Il s’intéresse de nouveau au vécu des jeunes et aimerait les rejoindre « là où ils sont ». Cependant, le progrès s’est davantage fait dans la pédagogie que dans sa démarche de fond, dans son esprit. Quelque part le catéchisme est resté déductif. En tant qu’adultes et membres aînés de l’Eglise, nous pensons savoir vers quoi amener les jeunes, une vérité, notre vérité, et, implicitement, nous partons de là. C’est ce qui nous intéresse, pas forcément les jeunes, tels qu’ils sont, leur réalité, leur culture, leur foi, aussi inhabituelles et incompréhensibles qu’elles soient pour nous. Nous pensons posséder une vérité à leur apporter, nous croyons devoir leur transmettre la foi, au lieu de laisser surgir foi et vérité dans la rencontre et le partage avec nous (et notre foi) et avec le Dieu vivant (dont témoigne la foi des personnages bibliques). Implicitement, nous partons encore de la doctrine, telle que nous la comprenons dans notre lecture de la bible. Nous le disons autrement, mais nous partons de là. D’où la demande constante pour des dossiers qui expliquent quoi dire aux jeunes. Nous croyons qu’un contenu, des sujets et des dossiers communs garantissent l’unité du catéchisme de l’Eglise. Pourtant, ce n’est pas le dossier « Jésus Christ » qui garantit l’unité du catéchisme de l’Eglise, mais Jésus Christ lui-même. Ce que je vois chez lui, dans sa catéchèse, c’est qu’il était d’abord inductif . Il partait de la situation et des questions particulières et circonstancielles de ses interlocuteurs, pour cheminer et arriver avec eux aux vérités de la foi. Dans sa suite, et peut-être plus fidèles à la Réforme que nous avons l’impression, nous devrions davantage travailler l’unité de la catéchèse au niveau du « comment » que du « quoi »? Comment faire pour que la foi puisse surgir et s’épanouir, d’une manière inductive à partir des réalités des jeunes? Avec quels outils et par quels moyens, pour que chaque catéchumène, dans la situation où il se trouve, puisse se situer librement devant son Dieu? Oui, ne devrions-nous pas davantage nous concentrer sur la question « comment penser et croire » que sur la question « quoi penser et croire »? Même l’Evangile, me semble-t-il, est plus outil que finalité. Le but à atteindre, ne s’appelle-t-il pas « Royaume de Dieu », une réalité qui m’échappe autant qu’aux jeunes?
Une méthode moderne en catéchèse: d’abord inductive, puis déductive
Je rêve d’une catéchèse aussi audacieuse que celle « inventée » par les réformateurs. Pour moi rester fidèle à eux ne signifie pas répéter et perpétuer leur manière de faire, leur catéchisme, mais relever avec le même courage le défi qui nous est adressé par la société actuelle et les jeunes d’aujourd’hui.
Comme il y a quatre siècles, partons du langage, mais, comme les réformateurs, du langage de la société. Commençons au milieu de la vie actuelle des jeunes, du parler actuel, du verbal et du non-verbal, des signes, des codes, des symboles, des éléments du langage et des langages d’aujourd’hui. Mettons-nous à l’écoute des jeunes, rejoignons-les là où ils sont, même si cet endroit, ou plutôt ces endroits, car ils sont multiples, nous déplaisent. Soyons d’abord inductif! Partons de la diversité des situations et des lieux.
En conséquence, il devient impossible de définir à l’avance les sujets et les questions qui seront traités par la suite. Du côté des jeunes, l’inductif s’impose, et n’importe quel sujet ou thème peut devenir catéchétique aussi longtemps qu’il intéresse et concerne les jeunes (qu’il se pose aux jeunes ou qu’il soit posé par les jeunes).
Nous, aînés que nous sommes, après avoir déjà parcouru un chemin un peu plus long que les jeunes, arrivons avec notre bagage spirituel propre à nous. On pourrait penser que nous pourrions partir de là et emprunter une démarche déductive. Mais nous ne pouvons pas mettre en avant ce bagage aussi longtemps que l’intérêt des jeunes n’y est pas. C’est nous qui devons d’abord bouger, quitter nos assurances et nos lieux sûrs et nous déplacer vers nos interlocuteurs. Trop occupés par eux-mêmes, et par la recherche de leur place, les jeunes ne peuvent pas venir vers nous. Nous devons aller vers eux, nous inviter chez eux, même si cela nous met mal à l’aise. Entrer dans leur maison, avec leur permission bien sûr, est un signe de confiance mutuelle. Jésus ne disait-il pas à Zachée: « Il faut que je loge chez toi aujourd’hui », et Zachée devait descendre de son arbre non pas pour rejoindre Jésus, mais pour rentrer chez lui, afin qu’il puisse accueillir Jésus, mais chez lui.
La prochaine étape est toujours inductive. Elle n’est possible qu’avec ceux et celles qui veulent rentrer chez eux comme Zachée, réfléchir sur eux-mêmes, se poser la question de Dieu dans leur vie, l’accueillir chez eux. C’est le chemin assez long et exigeant vers ce que nous appelons les vérités de la foi chrétienne, ou protestante, ou réformée. Nous pouvons y accompagner les jeunes, mais c’est leur chemin. Pour cela, il faut qu’ils soient descendus de leur arbre d’où ils pouvaient regarder passer Jésus de loin, sans prendre trop de risques. Maintenant, ils peuvent s’exposer, s’ouvrir et ouvrir leur maison à celui qui les met en question, à sa parole, à son message.
Maintenant que le jeune (ou tout autre catéchumène) a accueilli ce qui nous échappe, mais que nous partageons avec lui comme croyants, s’ouvre le chemin déductif, celui du haut vers le bas , du général vers le particulier, de l’absolu vers le relatif, du ciel vers la terre. Une fois Dieu expérimenté et reconnu là au milieu de nous, comme personne et comme vérité , le chemin du retour, c’est-à-dire la déduction devient possible, même nécessaire … Maintenant je commence à me frotter, avec plaisir, à ces doctrines qui, peut-être, me permettent enfin de mieux dire ce que je crois, mieux qu’avec mes propres mots. Mais, est-ce encore du catéchisme?
« Que signifie ce petit mot: Amen ? Amen veut dire: c’est sûr et certain! Ma prière est bien plus sûrement exaucée par Dieu que je ne sens dans mon coeur qu’elle le soit. »
(Catéchisme de Heidelberg, Question – réponse no. 129)
Armin Kressmann 2000