La catéchèse phénoménologique

Deux attentes fondamentales, – dont on pourrait discuter la pertinence, notamment en régime réformé -, sont adressées à la catéchèse de l’Eglise : la « transmission de valeurs », c’est-à-dire l’éthique ou la morale, et la « transmission de la foi », c’est-à-dire la spiritualité. La première attente vient d’habitude de l’extérieur ; c’est elle qui justifie, à côté de la diaconie, le lien avec l’Etat et le subventionnement de l’Eglise par ce dernier. La seconde attente vient plutôt de l’intérieur ; ce sont les « fidèles » qui souhaitent que le « monde » soit « évangélisé » et que l’Eglise soit renouvelée à travers la catéchèse. Aujourd’hui, pour la majorité des familles d’enfants et de catéchumènes, le premier aspect prime sur le second. Ainsi, en partie, la catéchèse de l’Eglise se trouve dans une situation contradictoire. Mais le dilemme n’est pas insurmontable.


D’abord l’approche fondamentale désignée par le terme « cercle herméneutique » réunit les deux dans un mouvement qui va de l’un à l’autre et vice versa, du biblique au vécu, démarche déductive, et du vécu au biblique, démarche inductive. Les deux sont indispensables. En fonction du développement moral et spirituel du public cible, enfants, adolescents, jeunes ou adultes, l’entrée sera davantage biblique ou davantage existentielle. Mais l’une et l’autre des deux démarches est obligée à rejoindre l’autre bout, le biblique l’existentiel, et l’existentiel le biblique. Le but commun des deux est d’entrelacer la vie des catéchumènes avec « l’Evangile », une parole biblique libératrice et structurante, en matière de morale et en matière de spiritualité. Cependant, en réalité sur le terrain, les partisans des deux démarches respectives s’opposent souvent. Les uns défendent d’abord la transmission de la parole, d’un savoir, en premier lieu le savoir biblique, les autres la communauté et le vécu de ceux et celles qui se réunissent au nom de cette même parole.

Pour l’instant, les deux approches cohabitent plus que de se retrouver dans une même vision. Le terme provisoirement retenu par l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud pour désigner sa catéchèse, « Chemins de vie et de foi », essaie de les réconcilier, mais sans indiquer un fondement commun. C’est un pas dans la bonne direction, mais, à mon avis, un pas qui n’est pas encore suffisant.

En la personne de Jésus Christ, les deux « citoyennetés », pour utiliser un terme moderne, sont réunies, la citoyenneté morale (la terre, le monde, la société – l’humanité) et la citoyenneté spirituelle (le ciel – la divinité).

La catéchèse de l’Eglise, plus que jamais, a la mission de témoigner des deux, sans jouer l’une contre l’autre. Plus que cela : elle devrait se poser la question du fondement commun des deux et, au fond, c’est de ce fondement commun dont il s’agit dans une bonne catéchèse. Ce fondement se donne dans une catéchèse phénoménologique. C’est elle qui nous permet de sortir de la bipolarité et de l’opposition entre « catéchèse biblique » et « catéchèse existentielle ». Cette catéchèse, comme en bonne théologie chrétienne, offre une voie tierce qui se réfère à l’Esprit, Dieu lui-même, qui englobe Père et Fils, théologie et christologie.

Quelques mots par rapport à la phénoménologie

Les sciences dites « positives », – à partir de l’attitude naturelle qui est la nôtre qui consiste à nous mettre comme sujets face à la nature ou au monde -, séparent observateur et objet de l’observation. Elles cherchent à décrire, à cerner et à expliquer l’objet de l’étude « en soi ». La réalité, pour elles, est ce qui, indépendamment de l’observateur, peut être dit sur l’objet de l’observation. Un bon nombre des disciplines enseignées aux facultés de théologie suivent cette voie, comme les sciences dites de la nature. Ainsi, le plus souvent, l’exégèse, notamment historico-critique, l’histoire ou les sciences des religions. L’objectivité n’est pas seulement cherché par l’application d’une méthode rigoureuse, mais aussi par cette mise en distance de l’objet de l’étude.

La phénoménologie par contre ne s’intéresse pas à l’objet « en soi », mais tel qu’il apparaît, se manifeste et entre dans la conscience humaine comme phénomène. Ce qui compte pour elle est le lien entre ce qui se manifeste et la conscience qui se rend compte de l’objet qui se manifeste ; c’est-à-dire, elle s’intéresse plus à la manière de la manifestation qu’à la chose qui se manifeste en elle-même. Le « comment » de l’apparition, – de l’entrée en conscience à travers les modes de perceptions qui sont les nôtres -, l’emporte sur l’intérêt de ce qui se manifeste en soi, c’est-à-dire le « quoi ». La « réalité » pour elle n’est pas l’objet, la nature, le monde en soi, mais leurs manières d’apparaître, d’advenir à la conscience. Méthode rigoureuse et scientifique elle aussi, elle a développé tout un éventail d’outils pour étudier et décrire toutes sortes de phénomènes, de la nature ou de la culture, concrets ou abstraits. Au premier abord, elle fait notamment abstraction des a priori, c’est-à-dire met en parenthèse tout ce qu’on sait d’avance d’un objet pour s’intéresser à ce qui se passe lors de l’apparition de cet objet à la conscience. Elle part de l’objet tel qu’il apparaît, s’intéresse à lui tel qu’il apparaît et le questionne à travers les facettes multiples de son apparition. La phénoménologie cherche l’objectivité à travers l’intersubjectivité.

Prenons un exemple, issu du champ qui nous intéresse en catéchèse : la bible.

Le catéchète « type bibliste » qui a bien appris son métier essayera de transmettre ce qu’il a appris et ce qu’il sait de ce livre qui, pour lui, est plus une bibliothèque dont il se nourrit et s’inspire qu’un simple livre. Il dira comment il faut la lire et comprendre, il mettra les différents textes et récits dans leurs contextes, bibliques, théologiques, historiques, etc. Avec son appareil de lecture, – soit-il plus littéraliste, historico-critique, narratif, structural ou psychanalytique -, il essayera de mener les catéchumènes à travers les textes pour leur dire, – je pousse un peu -, comment il faut les comprendre. La bible, pour lui, est un objet, objet d’étude et objet de foi. Il parlera de la foi ; son rêve est que les catéchumènes en fassent leur objet d’étude et de foi. Il fera tout pour leur montrer la valeur de la bible pour éclairer les situations diverses de la vie. Il peut réussir ; mais souvent les catéchumènes d’un certain âge ne se laissent pas convaincre, ils ont « d’autres préoccupations » ; le catéchète sera ou bien frustré ou bien il changera de stratégie, privilégiera la convivialité et essayera d’y placer juste son texte en espérant que celui-ci, plus tard, prendra de la stature et de l’importance, sera « efficace » par lui-même.
Une catégorie particulière du catéchète « type bibliste » est celui qui privilège une approche plus historique ou dogmatique.

Le catéchète « type existentiel », dès le départ, sera davantage attentif à la vie du groupe et essayera de conduire celui-ci dans des expériences qui lui rappellent les dimensions multiples de la vie humaine, de l’amour à la haine, de la joie à la peine, du bien au mal, etc. Il parlera d’éthique, de la vie bonne, du respect de l’autre, des Droits de l’Homme. Un moment donné, il essayera de montrer que ce que vivent les catéchumènes d’autres l’ont vécu, des figures bibliques ou des personnages qui eux se sont fortement inspirés du message biblique, et il essayera de faire le lien entre ces Droits de l’Homme et le message biblique. Il peut réussir, lui aussi, pour les adolescents mieux peut-être que le premier. Mais son angoisse est, malgré les bons moments passés ensemble, que la bible reste lointaine et que ses textes sont plus prétextes que tissu de vie dont le croyant s’inspire et vit.
Une catégorie particulière du catéchète « type existentiel » est celui qui privilège une démarche thématique ou « élémentaire ».

Personnellement j’ai passé et je passe régulièrement encore par les deux types, en fonction du public cible et des situations ; je réussis parfois, suis frustré d’autres fois, mais toujours « en soucis » de mettre en marche ce « cercle herméneutique » qui, souvent, me résiste.

Alors, la catéchèse « phénoménologique » ?

Quand je réussis, je l’applique peut-être :

Le catéchète « type phénoménologue » placera la bible au milieu du groupe et partira de ce qui se passe par là. Il questionnera avec les catéchumènes le phénomène « bible », tel qu’il se manifeste en situation. Avec des adolescents, c’est quand même le public le plus « réfractaire », il découvre probablement que son public, et à travers lui la bible elle-même, « manifeste » d’abord un « pavé », hermétique et « vieillot ». En situation il s’agira d’accueillir cet hôte dont on se méfie au début, qui, au mieux ennuie, au pire menace. Encore lire ! Encore l’école ! Mais je projette, l’expérience réelle sera celle qu’elle sera. Il faudra maintenant « faire avec », comme un des partenaires, parmi les autres, ami ou adversaire, suscitant sympathie ou antipathie. Et comme tous les participants, lui aussi aura une voix au chapitre et on lui donnera la parole quand ce sera son tour. Quand on se questionnera, il sera aussi interrogé, quand il faudra se prononcer pour donner son avis, son regard, un pour ou un contre, on le traitera comme tout le monde ; au début en tout cas. Ainsi il aura l’occasion de révéler ses multiples facettes, comme sujet, tel que les autres sujets, et pourra prendre corps et vie. Il deviendra peut-être accompagnant ou copain, proche en certains moments, plus lointain en d’autres. C’est avec lui, comme avec tous les autres membres de l’équipe, que celle-ci, proche du catéchète « type existentiel », affrontera d’autres phénomènes auxquels le groupe s’intéresse. Et c’est lors de ce cheminement que cet accompagnant que sera devenue la bible se dira davantage, déployant ses facettes multiples que le catéchète « type biblique » aurait voulu placer d’entrée.

Ainsi, face aux autres phénomènes que le groupe sera amené à étudier ou voudra étudier, sujet de foi ou de vie, la bible fera partie de l’équipe et manifestera son soutien ou sa résistance ; mieux que bible je devrais dire livres ou auteurs bibliques. On découvrira, je l’espère, qu’avec le phénomène « bible » d’autres phénomènes, issus du religieux, de l’art, de l’histoire, de la politique, etc. etc. se manifestent et que des mondes inconnus et fascinants s’ouvrent et s’offrent à l’équipe en recherche.

Et on découvrira aussi que la bible est une bibliothèque, non pas parce que le catéchète le dira, contre toute évidence, mais parce qu’on aura passé par une bibliothèque qui se sera manifestée comme telle.

Armin Kressmann 2006

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