Le « rôle d’être handicapé »

« Le mot ‘rôle’ n’avait au début aucune consonance sociologique. Il a pénétré par le vieux français dans l’anglais et le français médiéval. Il est dérivé du mot latin rotula ou rotulus. Ce terme de ‘rôle’ désignait à l’origine quelque chose de concret – le rouleau – puis le rouleau de parchemin sur lequel était écrite la pièce de théâtre dont on parlait. Par une évolution lente, le terme a fini par désigner le texte correspondant à la part que chacun devait prendre à l’action. » (Jacob L. Moreno ; Psychothérapie de groupe et psychodrame ; PUF, Paris 1965, p. 79)

« Le ‘rôle’ peut être défini comme la manière d’être réelle et perceptible que prend le Moi. ‘Nous définissons ainsi le manière d’être et d’agir (functioning form) que l’individu assume au moment précis où il réagit à une situation donnée, dans laquelle d’autres personnes ou objets sont engagés. Le rôle dépend donc de la ‘manière d’être au monde’ d’un individu, de sa situation et dans la position prise par lui dans un groupe donné ou une situation donnée, et de leurs relations réciproques. La représentation symbolique de cette manière d’être et d’agir, perçue tant par l’individu que par les autres, s’appelle le ‘rôle’. Cette manière d’être au monde provient provient des expériences passées et des modes culturels de la société dans laquelle vit l’individu … Tout rôle est une fusion d’éléments privés et collectifs. Chaque rôle a deux aspects : un aspect privé, personnel, individuel, et un aspect social, de groupe collectif. » (p. 81)

« Tout individu – de même qu’il a à n’importe quel moment un certain nombre d’amis et un certain nombre d’ennemis – dispose d’un éventail de rôles dans lesquels il se voit et fait face à un certain nombre de rôles qui lui donnent la réplique (contre-rôles) et que tiennent les autres autour de lui. Ils sont développés à des degrés différents. les rôles dans lesquels un individu agit forment l’aspect tangible de ce qu’on appelle son Moi. … Le rôle est l’unité de culture. Le Moi et le rôle sont en interaction continuelle. » (p. 83)

A partir de ces considérations de Jacob Moreno nous devons nous poser la question si « être handicapé » tient du moi ou est un rôle, rôle attribué par les autres dans le jeu de société qu’est le vivre ensemble.

Où se situe donc le besoin d’avoir une réalité ou un rôle qu’on appelle « handicap », du côté individu, « en situation de handicap », ou du côté collectif, « avoir des handicapés parmi nous » ? Est-ce qu’on est handicapé ou institué handicapé ? A quel moment bascule une différence acceptée comme normalité dans le jeu des interactions en « spectacle » où le jouer ensemble est tout à coup bloqué et certains des joueurs isolés, « mis en scène », donc exclus, de sorte que le jeu se divise en deux, en l’un qui est celui des « acteurs normaux » et en l’autre qui devient « spectacle » pour les premiers, une mise en scène. Dans une telle réflexion il est intéressant de constater que le jeu de départ devenu impossible se bloque et la scène se déplace vers une scène où ne jouent finalement que les personnes mises en scène, en l’occurrence les personnes « instituées handicapées », les autres, le « normaux » devenant passifs et spectateurs. Pour que ceux-ci puissent reprendre leur leu, le « jeu de la normalité », ils doivent bloquer le jeu sur scène, par l’exclusion,  l’institutionnalisation du handicap, la mise en écart de ceux dont le jeu « perturbe » trop le jeu.

Bien connues sont ces scènes, réelles ou cinématographiques, où sur une piste de danse surgit un couple de danseurs « extraordinaires » dont la manière de danser devient spectacle pour les autres danseurs. Après une telle « prestation » il est difficile de reprendre la danse comme auparavant. Restent des questions suspendues : qui suis-je et qu’est-ce que je fais là ? C’est une parole d’autorité de la normalité qui d’habitude permet de rependre la jeu : « the show mus go on ».

Mais les questions restent …

« Hypothèses de travail simples :

1. L’enfant ne naît pas avec un Moi, mais il agit, dès sa naissance, dans une série de rôles.

2. Nous pouvons admettre … que le Moi se forme à partir des rôles, et non, comme on l’a souvent postulé, que les rôles surgissent à partir du Moi.

3. Chaque individu tient habituellement un éventail de rôles, souvent liés entre eux …

4. Il est facile de définir et d’utiliser ces notions de rôle. ce concept est infiniment plus maniable que celui de Moi ou de Soi … » (J. L. Moreno, p. 72)

Armin Kressmann 2010

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