Déclinaison en dix points :
- La racine du mot « rite », – de l’indo-européen « rt- », « art- » (l’art !) -, indique ce qui est bien mis ensemble, ajusté, correcte, en ordre, juste et saint. La pratique du rite est l’art de bien mettre ensemble, de bien articuler les choses, dans l’espace et dans le temps. A l’origine il s’agissait dans la construction de bien mettre ensemble, d’ajuster le bois ou la pierre, de faire de sorte que les pièces allaient ensemble. Par la suite il y avait transposition au mental et au calcul. Un rite est une art-iculation. Il comporte une dimension d’ordre (aussi d’ordre sacré) et de droit. (J. Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch).
- Espace de rite est espace de jeu (jeu social ou religieux, avec leurs rôles, les textes à dire, les postures, les gestes, les liturgies, etc.), lieu (topos) de représentation où se joue entre acteurs sociaux le drame de la vie, comédie ou tragédie (une « performance »). Il y a action, il y a éthique. Que dois-je faire ?
- Chaque rite à un scénario et suit des règles ; rite veut dire « institution » « On entendait par institution ces événements d’une expérience qui la dote de dimensions durables par rapport auxquelles toute une série d’autres expériences auront sens, formeront une suite pensable ou une histoire – ou encore ces événements qui déposent en moi un sens, non pas à titre de survivance et de résidu, mais comme appel à une suite, exigence d’un avenir », Merleau-Ponty). Rite est institution et rite institue.Dans la mise en scène du rite il y a objets et paroles (« Sprachsymbole und Sprachspiele »), il y a des symboles, ces éléments qui renvoient aux acteurs et aux événements au-delà du présent, qui racontent l’histoire, celle qui ne se laisse guère raconter, le passé et l’avenir, l’au-delà du temps du présent dans lequel se re-présente, c’est-à-dire se rend présent ce qui ne se laisse à peine ou pas du tout (« Dieu ») représenter : l’altérité.
- Dans le rite celle-ci laisse sa trace ou sa marque, reconnaissable par ceux et celles qui sont initiés au rite, sa « liturgie » (mise en scène) et son langage.Rite il y a pour gérer, dépasser ou surmonter une crise, crise de situation ou crise de vie, où, effectivement ou symboliquement, temps et espace sont suspendus (le faire et l’histoire s’arrêtent – « dés-historisation » ; symboliquement se pointe la mort, la dissolution, le morcellement, la perte de la face, en vue d’une reprise, renouvelée, ressuscitée, sur le fondement d’une histoire, de quelque chose qui précède et qui est donné).
- Le rite permet une réinscription dans le temps quand l’histoire de vie s’interrompt, dans le banal du quotidien, sur le seuil de chaque porte et devant l’inconnu de chaque rencontre nouvelle, ou d’une manière beaucoup plus dramatique quand la mort arrête tout, tout ce qu’il y avait avant. Les rites sont des ponts sur l’abîme du néant où je risque de disparaître et me perdre moi-même.
- Rites veut dire réconciliation, avec soi-même et avec autrui, l’autre « frère jumeau » dans l’humanité (Jacob et Esaü), le tout-autre, c’est-à-dire l’absolu, le sens, l’ultime, – « Dieu » quand il porte un nom (c’est ce qui fait la différence entre un rite laïc et un rite religieux) -, le tiers dans l’histoire, l’histoire, la réalité qui fonde le rite.
- Il y a passage : il ya rite quand il y a passage e il y a passage quand il y a rite. Et quand il y a passage, il y a limite, seuil à franchir, c’est-à-dire marge ou « liminalité » (séparation – transition – incorporation). Rite est « entre ».
- Le corps, comme lieu d’être au monde, est en jeu, c’est en lui que se marque le temps et les événements ; et la face (le masque – la personne) représente son état, dans les rires et dans les pleurs, les joies, les peines, les plaisirs et les souffrances du corps et de l’âme (les états d’âme). Le rite in-corpore, permet de retrouver le corps perdu (d’où résurrection et non pas réincarnation) et l’incorporation dans un corps nouveau (collectif et communautaire). L’histoire, – l’histoire de vie, c’est-à-dire l’identité de la personne, du masque ou de la face -, s’inscrit dans le corps ; il en portera ses marques (corps touché et marqué, corps blessé ; cf. Jacob ; ce qui nous doit rendre attentif à tout ce qui se passe à l’adolescence autour du corps ; piercing, tatouage, comportements à risque … « Corps perdu – corps retrouvé » ; « sacrifice »).
- Pour ne pas perdre la face ou pour la retrouver quand on la perdue, il y a négociation, jeu d’interaction, voire combat et lutte (Jacob, chamanisme, etc.), défaite et victoire, mort et résurrection. Il y a régulation, symbolisation, c’est-à-dire passage à l’acte sans passage à l’acte.
- Ainsi, – comme passage, déformation et reformation, mort et résurrection -, le rite (comme moyen et non pas finalité), contribue à la construction de la personne, individuelle ou collective (« institution »).
Armin Kressmann 2007