Spiritualité et handicap mental

Spiritualité et spiritualités

La déficience intellectuelle nous met devant la question du statut de la raison. Institution, nous l’avons vu, veut dire normes et règles, donc argumentation et raisonnement, finalement entendement et raison. Spiritualité les dépasse, spiritualité est foi, sentiments, émotions, affectivité[1]. Il se pourrait que déficience intellectuelle ne veuille pas dire « déficience spirituelle », il se pourrait qu’on ait tort de vouloir réguler la spiritualité par la raison. Et même, il se pourrait que « l’arriéré mental » soit en avance spirituellement. Il se pourrait que la déficience intellectuelle nous révèle les déficiences institutionnelles. Il se pourrait que ceux et celles qui sont considérés comme handicapés nous apprennent à vivre à la limite et au-delà, à surmonter nos handicaps. Cela fait du sens …

Ainsi le handicap est un révélateur pour la finitude et pourrait nous prévenir de la folie de grandeur, du mythe du succès à tout prix, de la performance, du toujours mesurable, du tout-normé, tout-maîtrisé, tout-quantifiable et tout-contrôlable, c’est-à-dire de l’institution totalitaire[2]. Quel paradoxe : ceux qui sont inéluctablement menés à vivre en institution et y trouvent finalement le seul lieu de vie convenable révéleraient le talon d’Achille de l’institution, de toute institution, l’Etat inclus ?

Au-delà, l’angoisse de la perte, du morcellement, de l’éclatement, de la disparition et de la mort est omniprésente et exprimée tous les jours, au point de ne trouver réponse qu’au niveau spirituel. Ce n’est qu’en transcendant cette réalité inéluctable qu’un vivre-ensemble dans une paix et une sérénité relatives devient possible, ce que nous pouvons appeler de la résilience. Trouver sens dans le non-sens.

« Sans m’y attendre, je découvrais d’étonnantes capacités d’élaboration psychique chez les enfants handicapés, même très démunis du point de vue du langage et des moyens intellectuels. J’allais de surprise en surprise à les suivre dans leur cheminement. Ils m’étonnaient par leur détermination à penser leur handicap et à se penser eux-mêmes, enfants marqués qui suscitent l’effroi des autres, objet de fascination et de rejet. Il m’apparaissait aussi qu’ils illustraient, malgré les limites dues à leur handicap, les mécanismes de la pensée dans leur origine et leur déroulement. »[3]

« Ces enfants malformés ou déficients auraient donc quelque chose à nous enseigner ? Voilà une idée révolutionnaire. Plutôt que de les considérer inévitablement comme des êtres à réparer, marqués par une incomplétude qu’il faut masquer ou compenser, ils pourraient nous faire partager leur expérience existentielle particulière et nous amener à réfléchir aux questions fondamentales de l’humanité : l’origine, la filiation, la sexualité et la mort. »[4]

Armin Kressmann, Rapport « La spiritualité et les institutions », CEDIS 2008


[1] « Spiritualität erschliesst das Tor zu den eigenen Gefühlen. » (Georg Schmid ; Spiritualität im Angebot ; in : Leutwyler, Samuel, et Nägeli, Markus (éd.) ; Spiritualität und Wissenschaft ; vdf Hochschulverlag, Zürich 2005, p. 52

[2] Erving Goffman ; Asiles ; Etudes sur la condition sociale des malades mentaux ; Paris 1968 « On peut définir une institution totalitaire (« total institution », « qui englobe ou prétend englober la totalité des éléments d’un ensemble donné ») comme un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées. » p. 41

[3] Simone Sausse ; Le miroir brisé, L’enfant handicapé, sa famille et la psychanalyse ; Calmann-Lévy 1996, p. 16

[4] idem p. 18

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