Spiritualité et religion dans les institutions sociales vaudoises

Dans un document interne au SPAS (Service de Prévoyance et d’Aide Sociales), intitulé « Références religieuses ou spirituelles dans les institutions socio-éducatives en relation avec le SPAS »[1], il est dit :

« Les références religieuses ou spirituelles que revendiquent ou affichent certaines institutions n’ont jamais fait jusqu’ici l’objet de plainte spécifique de bénéficiaire adressée à notre service. »

L’institution qui, sur le plan spirituel, avait donné le plus à discuter, – le « Centre Narconon » à Bex, dans la mouvance scientologue, accueillant des personnes toxicodépendantes -, a cessé ses activités en 2005 ; depuis elle est fermée et en « restructuration ».

Pour les autres, plusieurs catégories se laissent établir.

L’AVOP en fait trois[2] :

« Dans notre compréhension, les institutions évoluent autour de trois pôles :

 

–         celles qui ont une orientation philosophique ou religieuse clairement marquée

–         celles dont l’origine historique détermine une volonté d’action privilégiée

–         celles qui n’affichent pas et ne privilégient pas une idéologie particulière »

Suite à l’enquête que j’ai menée en 2007-2008, – par une auto-déclaration des institutions répondant à la question : « Dans ses textes de référence actuels, votre institution se reconnaît-elle dans une ou plusieurs traditions spirituelles, religieuses ou philosophiques  ? » et « Si oui, lesquelles ? » -, je distingue[3] :

–         Sur les vingt-huit institutions qui ont répondu au questionnaire de l’enquête, un peu plus que la moitié se reconnaît dans une tradition chrétienne

–         Cinq d’entre elles se déclarent chrétienne et anthroposophique

–         La moitié de l’ensemble se déclare chrétienne et humaniste

–         Un bon tiers des institutions n’indique pas de tradition spécifique

D’une manière encore semi-quantitative, on peut dire que deux tiers des institutions ont une offre d’ordre spirituel ou religieux plus ou moins développée, si on prend les fêtes chrétiennes, les célébrations et les recueillements comme critères.

Il va de soi que des termes comme « chrétien », « humaniste » ou « laïque » couvrent des conceptions diverses et que l’auto-déclaration ne correspond pas forcément à l’appréciation extérieure. En ce domaine, une objectivation reste difficile et délicate. Là où les uns parleraient peut-être de science ou de philosophie, d’autres verraient religion, spiritualisme ou ésotérisme.

Du côté des institutions qui s’affichent ouvertement chrétiennes, l’instance de régulation devrait être les « Eglises et communautés religieuses reconnues», comme la Constitution le dit. Pour pouvoir jouer ce rôle, ces dernières pourraient constituer une instance commune unique comme vis-à-vis des institutions et de l’Etat.

Dans notre contexte, on aurait probablement besoin d’une meilleure connaissance de l’anthroposophie pour pouvoir la situer, ou bien comme spiritualité, – donc sujette à une régulation par les institutions religieuses reconnues, ou elle-même invitée à se faire reconnaître comme telle par l’Etat -, ou bien comme science, – donc, dans notre société, soumise aux exigences académiques. La définition qu’en donne Rudolf Steiner lui-même ne nous aide pas beaucoup pour la classifier :

« Unter Anthroposophie verstehe ich eine wissenschaftliche Erforschung der geistigen Welt, welche die Einseitigkeiten einer blossen Naturerkenntnis ebenso wie diejenigen der gewöhnlichen Mystik durchschaut und die, bevor sie den Versuch macht, in die übersinnliche Welt einzudringen, in der erkennenden Seele erst die im gewöhnlichen Bewusstsein und in der gewöhnlichen Wissenschaft noch nicht tätigen Kräfte entwickelt, welche ein solches Eindringen ermöglichen.»[4]

Pour les instituions qui se déclarent clairement laïques, le problème de la spiritualité se pose différemment. Une laïcité exclusive et fermée qui évince la question de la spiritualité pour envoyer les résidents à l’extérieur, risque elle-même d’une part de devenir idéologie, – voire spiritualité[5], et si ce n’est que par la négative -, et d’autre part de priver les résidents du droit à une (autre) spiritualité, en l’occurrence positive.

Une laïcité ouverte, de nouveau, est invitée à collaborer avec les Eglises et les communautés reconnues, toujours et encore en collaboration avec l’instance déjà mentionnée. Elle laisse entrer leurs représentants et leur accorde la liberté d’offrir leurs services, sans se prononcer sur leur pratique, aussi longtemps que la liberté de choix des résidents reste garantie.

Pouvons-nous dégager des enjeux et critères pour l’attitude que l’Etat devrait prendre ou avoir à l’égard des différentes spiritualités et pratiques spirituelles, en tout cas celles qui ont une composante religieuse[6] ?

L’étude, – la volonté du législateur, l’enquête, les divers concepts de spiritualité et les expériences sur le terrain -, m’amène à la vision institutionnelle  suivante :

–         Suite à la Constitution, l’Etat s’intéresse à la dimension spirituelle de ses citoyens ; il en « tient compte ».

–         Il délègue, toujours dans l’esprit de la Constitution, une part de sa responsabilité, – celle qui concerne le suivi, le soutien et la collaboration en matière de spiritualité -, aux Eglises et communautés religieuses reconnues.

–         Celles-ci s’organisent pour former un vis-à-vis commun autant pour l’Etat que pour les institutions sociales. Les « missions exercées en commun », – pour l’instant entre l’Eglise évangélique réformée et l’Eglise catholique, mais d’autres Eglises et communautés pourraient s’y joindre -, en serait une piste possible.

–         Pour être à la hauteur de la tâche, – stratégie, intervenants, moyens, formations -, une instance est créée, dans laquelle et les Eglises et les institutions sont représentées. Le Conseil œcuménique des aumôneries de l’éducation spécialisée pourrait jouer ce rôle.

–         Ce conseil serait le répondant des institutions sociales en matière de spiritualité :

–         Qui s’occupe de la dimension spirituelle des résidents ?

–         Comment ?

–         Les besoins ?

–         Les collaborations ?

–         Les moyens ?

–         Les formations ?

Sur le terrain, évidemment, comme aujourd’hui déjà, plusieurs modèles seraient possibles, toujours en accord avec un Conseil oecuménique :

–         L’institution s’occupe elle-même de la spiritualité de ses résidents

–         Elle souhaite se doter d’une aumônerie locale

–         Elle collabore avec des paroisses ou/et autres communautés religieuses des environs

–         Elle adhère à un pool cantonal d’aumônerie, etc.

En fait, un tel modèle ne changerait pas profondément la pratique actuelle, mais la rendrait plus transparente et plus claire, pour le public, pour l’Etat et, surtout, pour les familles. Il ne permettrait pas seulement une présentation commune des spiritualités offertes dans les institutions sociales du canton, mais introduirait aussi un tiers comme répondant dans des situations d’interrogation, de problèmes, voire de conflits. Ainsi l’Etat, se voulant laïc et neutre, ne serait pas directement investi à devoir se prononcer sur des questions spirituelles et religieuses.

Armin Kressmann, Rapport « La spiritualité et les institutions », CEDIS 2008


[1] Sans date ni signature.

[2] Document interne « Valeurs et institutions », 2005

[3] Les catégories ne sont pas exclusives ; une institution

[4] Rudolf Steiner, Gesamtausgabe, GA 35 ; La Société anthroposophique en Suisse présente l’anthroposophie de la façon suivante :

« Traduit littéralement du grec ancien par «sagesse de l’homme», le terme «anthroposophie» signifie aujourd’hui «conscience de sa qualité d’être humain» – anthropos = être humain, sophia = sagesse. L’anthroposophie se place dans la tradition occidentale chrétienne des recherches philosophique et religieuse de la compréhension de soi. Fondée au début du XXe siècle, l’anthroposophie se caractérise par l’élargissement de la perception et de la connaissance (réalisme spirituel) et par le développement de la responsabilité individuelle  (individualisme éthique).

En tant qu’individualisme éthique, elle ouvre et développe la faculté de l’autodétermination. Cela implique une connaissance de soi construite sur les conséquences de ses propres actes. Comme réalisme spirituel, elle ouvre de nouvelles perspectives sur la réalité dans laquelle une compréhension spirituelle de l’être humain, acquise à travers la réflexion et l’expérience directe, élargit et modifie le regard physique et psychologique de l’être humain.

En ce sens-là, l’anthroposophie est une «méthode expérimentale qui investit l’universellement humain et les phénomènes de l’univers», un «chemin de connaissance qui veut conduire le spirituel dans l’homme au spirituel dans l’univers».

L’anthroposophie transforme la science en pratique de la vie et la pratique de la vie en culture spirituelle. Cette transformation réciproque peut être perçue comme un processus vivant. Elle ouvre de nouvelles dimensions à la créativité artistique. Ainsi la science de l’esprit anthroposophique se développe à travers l’épanouissement de facultés individuelles par une participation engagée dans la culture et la vie sociale. » (www.anthromedia.fr 10.5.08)

[5] Si on définit celle-ci par des concepts qui la circonscrivent, comme par exemple une « quête de sens » ; cf. chapitre 6

[6] Dont la force, et le danger, nous l’avons vue, est sa dimension d’absolu.

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