Réflexion sur un rite de bénédiction des couples homosexuels : le débat sur l’homosexualité n’est pas un débat sur l’homosexualité

Je me suis déjà prononcé sur le sens d’un rite de bénédiction des couples homosexuels. De quel droit refuserions-nous de bénir une union, une alliance d’amour mutuel, libre, conscient, consentant et symétrique quelle qu’elle soit ? Et quel serait un argumentaire encore valable pour maintenir comme seul modèle de famille celui que nous appelons « traditionnel », tout en sachant, selon la bible, que Jésus lui-même était un enfant adopté qui a grandi dans un modèle de famille que nous appellerions aujourd’hui peut-être « recomposé » ? Ainsi, l’enjeu d’un rite de bénédiction pour couples homosexuels dépasse largement la question de l’homosexualité ; il s’agit de toute discrimination se fondant sur une dogmatique qui sacrifie l’être humain au nom d’une quelconque vérité. La vérité, pour l’évangile, est une personne ; la vérité est toujours personne, notamment la personne discriminée, celui ou celle qui est « autre », homosexuel, tzigane, étranger, fou, handicapé, pauvre, faible, exclu, tous ceux et celles, c’est intéressant à relever, pour lesquels notre société a de toute façon de la peine à reconnaître une union d’amour et à les marier. Contre cette forme de discrimination il s’agit de défendre et de préserver l’amour inclusif et, en conséquence, la justice sociale. Le libéralisme moral peut être profondément conservateur, et c’est ainsi que ce qui semble s’opposer est complémentaire. Le fond, je l’appelle évangile, la forme christianisme social.

Venons donc au rite spécifique de bénédiction des couples homosexuels. Premier point : de toute façon il ne s’agirait pas de mariage, parce que mariage comme institution1, en régime protestant, se fonde à l’État civil2, et non pas à l’église. En Église, de toute façon, « il n’y a que » bénédiction3 ; au fond on devrait dire : en Église, il y a toujours bénédiction, rien d’autre que bénédiction4, lors du culte, d’un baptême, de la sainte cène, de la confirmation, des services funèbres, des études bibliques, du catéchisme, des visites pastorales, en paroisse ou en aumônerie, etc. etc. Ici cependant, il est question d’un rite spécifique, comme celui qui s’appelle, à tort, « mariage à l’église ». La question fondamentale n’est donc pas bénédiction ou pas bénédiction, mais quel rite de bénédiction spécifique. Cette question se pose pour tout un nombre de situations spécifiques différentes : la bénédiction de couples dont l’un ou l’autre des deux membres est divorcé, voire les deux ; les couples, notamment de retraités, qui ne veulent pas se marier au civil ; les couples de personnes qui sont sous curatelle, mentalement handicapées ou autres ; les couples mixtes, de confessions ou de religions différentes, etc. etc. Pourquoi se focalise-t-on tellement sur, voire contre les homosexuels5 ? C’est là la question qui devrait préoccuper l’Église, c’est là où on devrait récolter des signatures contre une discrimination qui sent le poids de l’histoire.

Mais revenons au rite de bénédiction :

  • Pas de mariage, c’est banal, parce que pour nous le mariage se fait à l’État civil.
  • Donc un rite spécifique, parmi d’autres rites spécifiques à élaborer.
  • Un rite de bénédiction.
  • Bénédiction de quoi ? Non pas de l’homosexualité, mais d’une relation d’amour ; comme chaque relation d’amour mérite d’être bénie en et par l’Église.
  • Donc un rite spécifique parmi d’autres rites, une déclinaison parmi d’autres déclinaisons d’une même réalité : l’amour et la grâce de Dieu.
  • Quelle spécificité ? Pour moi, la différenciation, en vue d’une famille où fonction maternelle et fonction paternelle se complètent.
  • Symboliquement, là où pour un couple hétérosexuel il s’agit d’abord de viser l’union dans la différence, ou dans l’altérité, il s’agirait de marquer davantage une séparation créatrice là ou il y a risque d’un fusionnel non-différencié ; donc une perspective d’altérité dans l’union.
  • Au niveau biblique, le double commandement d’amour comme fondement ultime de toute union, ou alliance, ou relation d’amour, dimension commune à tous les rites de bénédiction (Matthieu 22,37-40).
  • Pour les couples hétérosexuels symbolisation de la séparation généalogique, donc verticale ou historique : « Ainsi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Genèse 2,24)
  • Symbolisation de la différentiation sociale ou horizontale, pour marquer la spécificité de chacun, chacune, pour les couples homosexuels : « Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu’il lui amena. » (Genèse 2,22) et « Dieu sépara … » (Genèse 1,7).

Armin Kressmann 2013

1 « Ehe » und « Eheschliessung », en allemand.

2 Et en présence de Dieu pour le croyant.

3 Tout en sachant que la loi (donc l’interdit) peut aussi être bénédiction ; mais ce n’est pas de cette façon-là qu’elle est utilisée par ceux et celles qui combattent le « mariage gay ».

4 Instituant un ordre, c’est vrai, mais comme corollaire d’une alliance d’amour, donc d’une relation, d’un lien qui lui précède. C’est l’amour qui institue l’ordre (ou la loi) et ce n’est pas l’ordre qui fait aimer (cf. le Décalogue, le baptême de Jésus ou l’appel et l’envoi des disciples).

5 Au point que les homosexuel(le)s eux(elles)-mêmes ne peuvent pas ou plus participer au débat sans être, au même temps, de nouveau stigmatisé(e)s.

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Une réflexion au sujet de « Réflexion sur un rite de bénédiction des couples homosexuels : le débat sur l’homosexualité n’est pas un débat sur l’homosexualité »

  1. Par rapport au « poids de l’histoire », aujourd’hui même, en ce mardi 2 avril, dans l’émission « Echo der Zeit » sur la première chaîne de la radio suisse alémanique, une femme a témoigné de ce qu’elle a subi par contrainte administrative en 1972, un avortement et une stérilisation forcés :

    « Zur Abtreibung gezwungen und zwangssterilisiert

    Bis in die 1980er Jahre wurden in der Schweiz tausende Menschen «administrativ versorgt», nur weil sie aus zerrütteten Familien stammten. Eines der Opfer ist Bernadette Gächter, die 1972 als junge Frau zur Abtreibung gezwungen und zwangssterilisiert wurde. »

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