Jean 1,29-34 (Jn 1,29-34) Le péché !? L’agneau de Dieu ! Venez et vous verrez (remarques exégétiques et homilétiques)

« Une réalité qui ne peut être nommée que dans la foi … allant de paire avec la découverte du mystère de Dieu et de son grand projet de salut. » (Dictionnaire encyclopédique de la Bible, p. 994s)

Pour Fernand Prod’homme, l’auteur de cet article, « péché et pécher » sont des notions qui sont inséparables de la foi ; celui et celle qui ne reconnaît pas une réalité ultime dépassant la responsabilité humaine, ne peut pas pécher ; il ne peut que fauter et commettre des erreurs, un délit ou un crime, et cela par rapport à un référentiel qu’il s’impose lui-même ou imposé par la société, ce qui est généralement jugé comme juste ou faux, droit et lois positifs. Par là, aussi longtemps qu’il a la capacité de discernement, il est entièrement responsable de ses actes et doit en assumer les conséquences, sanctions humaines et culpabilité psychologique. Il ne connaît pas le pardon non plus, en tout cas pas celui qui le libère de la faute elle-même ; il n’a pas accès au salut qui lui ouvre un avenir sans hypothèque. Il doit faire avec ce qu’il a fait et commis. Son « casier judiciaire » n’est plus jamais vierge, ce qui est biffé reste en tant que biffé. Sa conscience est chargée. Soit.

Mais qu’est-ce qui se passe quand, justement, capacité de discernement il n’y a pas, ou, plus lourdement encore, quand victime il y a, souffrance, mort, sans que la personne qui « en est responsable » ait commis une faute, un délit ou un crime ?

« Jadis, en l’absence de loi, je vivais. Mais le commandement est venu, le péché a pris vie, et moi je suis mort : le commandement qui doit mener à la vie s’est trouvé pour moi mener à la mort. Car le péché, saisissant l’occasion, m’a séduit par le moyen du commandement et, par lui, m’a donné la mort. Ainsi donc, la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. Alors, ce qui est bon est-il devenu cause de mort pour moi ? Certes non ! Mais c’est le péché : en se servant de ce qui est bon, il m’a donné la mort, afin qu’il fût manifesté comme péché et qu’il apparût dans toute sa virulence de péché, par le moyen du commandement. Nous savons, certes, que la loi est spirituelle ; mais moi, je suis charnel, vendu comme esclave au péché. Effectivement, je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, je suis d’accord avec la loi et reconnais qu’elle est bonne ; ce n’est donc pas moi qui agis ainsi, mais le péché qui habite en moi. Car je sais qu’en moi-je veux dire dans ma chair-le bien n’habite pas : vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. Or, si ce que je ne veux pas, je le fais, ce n’est pas moi qui agis, mais le péché qui habite en moi. Moi qui veux faire le bien, je constate donc cette loi : c’est le mal qui est à ma portée. Car je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu’homme intérieur, mais, dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence ; elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché qui est dans mes membres. Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? Grâce soit rendue à Dieu par Jésus Christ, notre Seigneur ! Me voilà donc à la fois assujetti par l’intelligence à la loi de Dieu et par la chair à la loi du péché. » (Romains 7,9-25 TOB)

Voilà la réalité du péché, telle que décrite par Paul dans sa lettre aux Romains. La loi est bonne, je la respecte, je veux l’appliquer et vivre, peut-être je le fais même, mais le résultat, les conséquences pratiques, incarnées, la « chair », sont mauvais, font mal, séparent, détruisent …

« Rater la cible », voilà une notion du péché, mais, prise comme ça, pas la plus forte. Rater la vie, c’est ça l’enjeu, mettre la vie en danger, sa vie et celle des autres, la vie physique, psychique, sociale et spirituelle, l’avenir, – « les lendemains » (Jean 1,29) -, le sien et celui des autres, se couper des autres, couper le lien, le lien à la vie même, à l’amour, à la possibilité de la vie et de l’amour au-delà du péché, la vie pleine, accomplie, le lien avec cette réalité mystérieuse que seule la foi peut apprivoiser et que nous appelons Dieu, se prendre soi-même comme Dieu, centre du monde ; se couper de Dieu, de la vie et de l’amour en personne, de la personnalité ultime de toute personne, ainsi se couper de celui, ou celle, qui en tant que personne porte et doit porter un nom, Dieu en personne, Jésus Christ.

La réalité au-delà du péché, au-delà de la mort ?

A la foi seule elle est accessible, sous les notions de pardon et de salut. L’autre, par rapport auquel j’ai commis un tort, une faute, du mal, certes, il peut me « pardonner », mais pas me délier de la faute en tant que telle, quand celle-ci est « rupture définitive », de l’ordre de la mort. « péché », « Sünde », « colpa », « coulpe » objective, quand réparation n’est plus possible. Avec cette faute-là, même pardonné par celui auquel je l’ai commise, je devrai toujours vivre ; elle fait obstacle à l’avenir, le mien et le sien, l’avenir de l’un, l’avenir de l’autre et notre avenir commun sont toujours hypothéqués, chargés de la faute commise. Les lendemains sont hypothéqués (Matthieu 1,18.19, contre toute immaculée conception ; Marie est une femme comme toute femme et c’est ce qui fait de l’incarnation un miracle). Ce n’est que l’Esprit, Dieu au-delà de « Dieu », qui peut « couvrir » la faute. L’Esprit qui plane sur le chaos originel, sur le « tohu-bohu » et l’abîme de la création originelle, celui qui plane sur les fautes commises avant la « nativité », avant Noël, lui seul peut les effacer. Ce n’est que l’Esprit, celui-de Dieu, l’ultime, qui peut me libérer de la faute ultime, du « péché originel », de celui que je commets par le seul fait de vivre, d’ex-ister, en prenant ma place à moi et par là en excluant tout autre de cette place que j’ai prise. Elle est la mienne, et pourtant elle ne m’appartient pas (contre un certaine vision de la modernité individualiste ; les conséquences éthiques sont considérables : on passe d’une vision de droits et une vision de grâce). Pour le croyant, exister est pécher, parce qu’exister est séparer, inclure et exclure, faire vivre et faire mourir. Ce « péché »-là, l’aliénation existentielle, en Jésus Christ, Dieu, le créateur lui-même, le prend sur lui. Dans la foi, nous pouvons le lui remettre, en dernière instance lui remettre notre existence, et avec elle l’aliénation qui va avec l’existence.

« Mais je n’a rien fait », là où tu aurais dû faire quelque chose.

« Mais j’ai tout fait », là où tu aurais dû ne rien faire.

« Mais j’ai fait ce qu’il fallait faire », là où tu aurais dû faire autre chose que ce qu’il fallait faire.

Comme la gloire, à Dieu seul le péché !

L’homme pardonne, Dieu sauve.

« Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » (Jean 1,29)

Armin Kressmann 2020

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