Les institutions socio-éducatives et leurs chartes : entre libéralisme, communautarisme et procéduralisme (Institution de Lavigny, Eben-Hézer et de L’Espérance)

Qu’est-ce qui devrait figurer dans une charte éthique d’une institution socio-éducative ?

Comment l’établir ? Comment s’en approprier ?

Voici une mise en parallèle des mots clé de trois chartes d’institutions qui accueillent et accompagnent notamment des personnes mentalement handicapées :

Les chartes elle-mêmes peuvent être consultées sur les sites des trois institutions

Eben-Hézer

Institution de Lavigny

L’Espérance

Charte EH 1995 Charte Lavigny 2010 Charte de L’Espérance
La fondation – Préambule 

inspiration évangélique

vocation chrétienne

 

l’amour du prochain

Préambule 

dignité de la personne humaine

Préambule 

fidèle à l’esprit (du fondateur, AK), inspirée par ses valeurs

 

principes de la laïcité

Le résident 

personne

unique

globalité

dimension spirituelle

 

capacités

potentialités

 

une place dans la collectivité

 

personne

unicité

globalité

 

 

ressources de chaque personne

réalisation de soi

 

place – contribution à la communauté humaine

 

personne – personnalité

globalité

dimensions physique, psychique, affective, intellectuelle et spirituelle

Les principes qui sous-tendent l’organisation 

respect de la personne

 

aspirations à la liberté

à la responsabilité

à la solidarité

 

résidents – collaborateurs

 

atteinte autonomie

 

Valeur respect

droits

engagements

 

 

personnes accueillies

ensemble des parties

Principes généraux 

contrat : droits et obligations

prestations

 

réalisation existence digne

épanouissement

autonomie

 

qualité de vie

sécurité

participation

intégration

 

liberté individuelle

libre choix

vie en communauté

droits :

soins-bientraitance, vie affective et sexuelle, pratique religieuse, vie socioculturelle, réseau familial et social, formation, travail, occupation, information, communication

 

Politique d’accueil 

ouverture

actualisant et diversifiant ses

ressources humaines pédagogiques et thérapeutiques

ainsi que ses équipements

matériels

problématiques nouvelles

adapte ses structures à l’évolution des besoins

 

qualité de la vie et des soins

Valeur accueil 

 

Valeur accompagnement

 

 

 

 

 

organisation apprenante

 

besoins multiples et divers

accompagnement et encadrement de qualité

La mission 

accueil

enseignement

accompagnement

traitement

Le modèle familial« que (ses) maisons restent des familles »

 

cadre de vie de type familial

respectant la sphère privée et l’individualité

vie de la maison

 

parents et professionnels – complémentarité et de partenariat

Valeur équité 

droits de l’homme

principes de bientraitance

Valeurs de référence 

droits de l’homme

droits de l’enfant

droits du déficient mental

droits des personnes handicapées

 

préceptes de l’humanisme

 

la vie une valeur inaliénable

 

respect et considération

 

collaboration institution, familles et société

Vie spirituelle 

se ressourcer et donner un sens à la vie

vie spirituelle dimension spirituelle
Participation 

résidents et les collaborateurs

liens directs entre ses différents organes

 

associe ses collaborateurs, ses résidents et/ou leurs répondants aux processus de réflexion et de décision

 

Valeurs participation et partenariat  

partenaire

Politique du personnel 

collaborateurs compétents

capables d’adhérer à ses principes et à ses buts généraux

personnes formées – formation

en cours d’emploi

perfectionnement – formation continue

Moyens formation, recherche et développement 

développement durable

gestion du personnel :confiance, responsabilités

 

« santé et sécurité au travail »

 

professionnalisme

respect

civilité

écoute de l’autre

 

formation – continue et perfectionnement

 

Ouverture et rayonnement 

réseau de communications et d’informations réciproques

familles des résidents

collectivités publiques

milieux privés (professionnels et non professionnels)

institutions sœurs

lieux de formation et de perfectionnement

 

Moyen interdisciplinarité

 

action concertée

connaissances et savoir-faire

systémique

valorisation des rôles sociaux

 

interdisciplinarité

management de qualité

 

partenariat associations professionnelles

 

Aspects médicaux et paramédicaux de la mission d’Eben-Hézer 

santé physique et psychique de

ses résidents

leurs besoins, leurs ressources

et leurs désirs

individuels dans ce domaine

accès

prévention et dépistage

associe entourage familial et

social aux décisions

information, formation, collaboration et supervision interdisciplinaire

des collaborateurs et

des intervenants;

promeut la qualité

coordination des traitements

associe résident – représentant

légal

atteinte santé 

 

(réalisation de soi au niveau de)

vie physique et psychique, sociale, affective et spirituelle

soins

accompagnement fin de vie, soins palliatifs

Deux différences sont pourtant notables (marquées en rouge) :La mise en parallèle des trois chartes montre une certaine correspondance entre celle de l’Institution de Lavigny, – la plus concise, au point de s’exposer au risque de se limiter aux seuls fondamentaux de la bioéthique classique (c’est-à-dire d’être désincarnée) -, et celle d’Eben-Hézer ; une bonne part des termes clé se retrouve dans les deux versions, pas forcément à la même place ni avec la même pondération.

  1. La charte d’Eben-Hézer est plus communautarienne, ce qui se reflète dans la notion « modèle familial », la charte de Lavigny plus libérale1.
  1. La première est d’inspiration chrétienne, « amour du prochain », la seconde est plus universaliste, « droits de l’homme ».

Eben-Hézer mise davantage sur l’empathie, l’Institution de Lavigny sur l’autonomie. Quel équilibre entre les deux, – la vulnérabilité et la capabilité quand on parle des résidents -, est un défi lancé à toute institution socio-éducative, et cela tout particulièrement dans le domaine du handicap mental2.

A mon avis très différentes des deux autres est la charte de l’Espérance :

  • Elle n’est pas seulement plus pratique et opérationnelle, – au point qu’on ne sait pas forcément ce qui devrait figurer dans une charte et ce qui devrait plutôt être traité dans un concept d’organisation ou d’accompagnement -, mais elle est aussi plus procédurale.
  • Elle insiste fortement sur les droits et la « capabilité » des résidents.
  • Dans ce sens, elle se veut libérale et contractuelle, tout en insistant sur le maintien de l’esprit (chrétien) qui a animé son fondateur ; elle se trouve donc dans un double lien, une situation que les deux autres évitent en assumant l’une ou l’autre position.
  • Dans son ambition de tenir compte, sans les réconcilier d’ailleurs, les approches les plus diverses et parfois contradictoires, – autant communautariennes, libérales, objectives et procédurales (téléologiques, déontologiques et procédurales ou dialogales) -, tout le monde devrait s’y retrouver, mais sans être forcément interpellé dans sa vision et dans sa pratique par une intention et une ligne directrice claires. Sur le terrain, l’effet pourrait être contraire à ce qui a été recherché et souhaité.

D’un point de vue général, et c’est dans une certaine mesure valable pour les trois chartes, les définitions et les classifications des éléments entre ce qui est principe, valeur et moyen (ou règle) mériteraient d’être clarifiées. Aussi, là où il est question de laïcité, celle-ci n’est pas détaillée ; s’agit-il d’une vision socio-politique, donc pas forcément éthique, influencée par la laïcité française ou de ce qu’en Suisse on appellerait davantage sécularisation ? Comme corollaire, phénomène de société actuel, la distinction entre le spirituel et le religieux reste floue.

Armin Kressmann 2013

2 Qui est par essence « handicap d’autonomie ».

 

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