Les institutions socio-éducatives et leurs chartes: fondements suffisants pour leur action ?

Toute institution socio-éducative qui se veut à la hauteur des exigences que la société lui adresse, – pour justifier son action, à l’intérieur et vers l’extérieur -, se dote aujourd’hui d’une charte. On la présente comme fondement de son engagement et de son travail, elle figure dans le manuel qualité, on la publie, on l’affiche.
De plus en plus ces chartes se ressemblent entre elles et se réfèrent de plus en plus aux divers textes de droits humains, les Droits universels de l’Homme, les Droits de l’enfant, les Droits de la personne handicapée, etc.

Comment se fait-il que, – dans une société dite pluraliste où les valeurs semble-t-il éclatent -, tout le monde se réfère au même idées ? Et si tout le monde a le même fondement de son action, comment se fait-il qu’il y ait tellement de différences et de variétés dans l’accompagnement et la prise en charge ?

Tout simplement : une charte n’est jamais fondement de l’action ; au mieux elle donne son cadre, elle encadre, ce qui est déjà beaucoup. Mais ce sont les fondements, toujours différents et contradictoires, qui motivent l’action et non pas leur cadre.

« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai délivré de la servitude.

Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face.
Tu ne te feras pas d’idoles pour te prosterner devant elles.
Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu.
Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier.

Honore ton père et ta mère.
Tu ne tueras pas.
Tu ne commettras pas d’adultère.
Tu ne déroberas pas.
Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain.
Tu ne convoiteras pas ce qui est à ton prochain. »

Voilà une charte, le Décalogue, « Les dix paroles », tirées des Ecritures judéo-chrétiennes, la bible, premier testament, livre de l’Exode, chapitre 20.

En première vue, une telle charte comme fondement, qui peut ne pas être d’accord ?

Mais une charte est de l’ordre de la loi, et la loi n’est pas fondement de l’action ; c’est juste qu’elle cadre et exprime l’action elle-même :

« Tu n’auras pas
Tu ne feras pas
Tu ne prendras pas
Souviens-toi et honore
Tu ne tueras pas
Tu ne commettras pas
Tu ne déroberas pas
Tu ne porteras pas
Tu ne convoiteras pas »

La loi est cadre de l’action et non pas son fondement.

Le fondement, ce qui est derrière la loi, est toujours à chercher de nouveau.

Le fondement, ou bien, se cherche par raisonnement,
– on est dans l’immanence, on pourrait aussi parler de philosophie -,
ou bien, se cherche au-delà, dans la transcendance, par un acte de foi.

Fondement est
ou bien l’homme (en tant qu’être humain) et sa raison
ou bien Dieu et la foi en Dieu (ou un dieu et la foi en ce dieu, minuscule, comme l’argent par exemple).

Ainsi pour une fondation comme Eben-Hézer, – ce qui veut dire « pierre de secours », Eben –Hézer est la plus grande institution socio-éducative du canton de Vaud ; elle s’occupe notamment de personnes mentalement handicapées -, la pierre n’est pas le fondement ; fondement est le roc en qui la pierre est plantée et ancrée.

C’est moi, le fondement, ou c’est l’autre, – l’autre, autrui ou le tout-autre.

Le fondement n’est pas de l’ordre du droit, même pas du droit humain, mais il est philosophique, – c’est-à-dire d’origine grecque -, ou religieux, c’est-à-dire chez nous d’origine hébraïque ou judéo-chrétienne (religieux dans le sens de Lévinas ; « le face-à-face avec l’autre dans un regard et une parole qui maintiennent et interrompent touts les totalités », selon Derrida, « L’écriture et la différence »).

Le fondement est toujours question, philosophique ou théologique,
raison ou déraison, jamais réponse, quelque chose de fixé qu’on tienne,
jamais charte ou statuts qu’on peut afficher, publier sur papier brillant ou mettre dans les classeurs du manuel qualité.

« La question doit être gardée » dit Jacques Derrida, pour qui la philosophie est « la communauté de la question sur la possibilité de la question ».

L’incertitude, l’incertitude du raisonnement ou l’incertitude de la foi, dépasse toujours la loi, la certitude d’une charte.

Derrida poursuit :

« La liberté de la question … doit être dite et abritée. Demeure fondée, tradition réalisée de la question demeurée question. Si ce commandement a une signification éthique, ce n’est pas d’appartenir au domaine de l’éthique, mais d’autoriser – ultérieurement – toute loi éthique en général. Il n’est pas de loi qui ne se dise, il n’est pas de commandement qui ne s’adresse à une liberté de parole. »

La parole faite chair ! Noël ! Noël, pour l’évangéliste Jean ; Deuxième Testament, Prologue de l’évangile selon Jean :

« en archè ho logos »

« Au commencement, origine et principe, est le Verbe … et le Verbe est Dieu.
… Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.
… Et le Verbe s’est fait chair
et il a habité parmi nous
et nous avons vu sa gloire,
cette gloire que, Fils unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père. »

D’ailleurs, concernant le Père :

Le Décalogue n’est pas le fondement de l’action juste ;
le fondement, du Décalogue et de notre action, – si celle-ci se veut « d’inspiration évangélique » et de « vocation chrétienne » -,
le fondement se trouve dans le Prologue du Décalogue :

« Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai délivré de la servitude. »

… qui t’ai délivré, même de la servitude d’une charte !

Pour le Décalogue, le fondement se trouve en Dieu ! (et d’ailleurs, pour la majorité des fondateurs de nos institutions socio-éducatives aussi)

Une charte ne nous libère jamais du travail sur la Parole !

Parole de résident ! Résident fondement, résident question, question d’altérité, question de l’autre :

« Où es-tu, Adam ? » … Ecce homo ! … Noël !

« Le verbe doit non seulement être verbe de quelqu’un ; il doit déborder vers l’autre ce qu’on appelle le sujet parlant. » dit Derrida, suite à Levinas.

Ce « quelqu’un », « l’autre », « le sujet », ne peut être que « le résident ».

C’est en lui que nous trouvons le fondement de notre action.
C’est en lui, le résident, que la parole se fait chair, aujourd’hui !

Armin Kressmann 2005

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