Pierre-Philippe, Alice et l’autonomie

« Jusqu’à sept ans, disait sa maman, Pierre-Philippe était un enfant comme les autres. Il aimait la musique, jouait au piano. Et puis le jardin! Juste la lecture et l’écriture lui posaient quelques problèmes. Alors l’école, ça n’allait pas. Mais il prenait sa vie en main, il était indépendant, descendait au village, s’installait au bistrot, partait en camp, avec les autres. Jusqu’à sept ans, il était autonome. Puis il a changé, la maladie ! On a tout fait, tout ce qu’on pouvait, jusqu’à 14 ans, jusqu’à ce que c’était trop lourd. C’est là où il fallait le mettre en institution. Mais il est rentré, toutes les deux semaines, jusqu’à ce que nous n’en pouvions plus ! »

En institution, c’est là que Pierre-Philippe a vécu, avec sa maladie dégénérative. Les premières années il était encore mobile, « indépendant », puis en fauteuil roulant, et de plus en plus dépendant ; handicapé, enfin polyhandicapé.

« C’était un battant, disaient les accompagnants, attentif à tout, qui se marrait quand les autres s’énervaient. Il a étonné tout le monde. C’était le chef de table, il voyait tout. Oui, il prenait une grande place, il était imprévisible, autonome. Et il avait une force incroyable, il avait de l’humour, aimait les plaisanteries, était un grand ‘psychologue’. Il était généreux, et il s’est battu jusqu’à la fin, quand les infections se sont greffées sur son état physique déjà très affaibli. »

C’était lors de l’entretien de deuil ; à 44 ans Pierre-Philippe est mort. J’ai eu le privilège de l’accompagner dans ses dernières semaines, ses derniers jours, avec sa maman, avec les accompagnants. La musique, il l’aimait toujours !

L’autonomie ?

« Je ne veux pas le savoir », dit Alice, et pourtant, les médecins le lui ont dit, sur sa demande, « Je veux le savoir ! », ce qu’elle ne veut pas savoir : sa tumeur du cerveau est incurable, la fin s’approche. « Je suis bien, je n’ai pas mal, nulle part ! Je ne veux pas le savoir ! » Sa sœur ne voulait pas qu’on le lui dise, non plus, ni le reste de sa famille, semble-t-il. La soeur l’avait dit au médecin ; lequel ? Alors, n’aurait-on rien dû dire, à Alice, et si oui, quand même, qu’est-ce qu’elle a voulu entendre, savoir ? Fallait-il chercher à savoir ce qu’elle voulait savoir et ce qu’elle ne voulait pas savoir ? Fallait-il mettre en avant l’autodétermination ou la bienfaisance, et, au nom de son autonomie, qu’est-ce qu’il fallait dire, – tout ? sur sa demande ! -, et, au nom de la bienfaisance, aurait-il fallu ne rien dire ?

Armin Kressmann 2005

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