« Il les créa mâle et femelle » – Dieu crée d’emblée deux êtres différents et complémentaires (Olivier Bader)

Voici, suivi par mon commentaire, la réponse du pasteur Olivier Bader à mon article « Mariage pour tous » et le récit de la création (Genèse 1,27) – Non, la bible ne dit pas : « Il créa l’homme et la femme » – Lettre ouverte aux amiEs évangéliques (les deux figurent aussi sur leur site R3 comme commentaires à l’article « Après la décision de la FEPS) :

Cher ami, je suis très surpris par la lecture que tu fais de Genèse 1,27 en référence à Josy Eisenberg et Armand Abécassis. Tu déduis beaucoup de choses de bien peu de mots. Que fais-tu de la visée théologique de Genèse 1 et du récit complémentaire de Genèse 2 ? Et au fond, pourquoi vouloir absolument lire ce que le texte ne dit pas ? Est-ce si gênant de reconnaître que les récits de la création nous présentent une vision du couple étroite, « exclusive » (selon ton vocabulaire), vision reconnue par la grande majorité des théologiens juifs et chrétiens ?
1) Oui Dieu crée Adam, le « glébeux ». Cette appellation générique est immédiatement complétée par la distinction sexuelle : « Il les créa mâle et femelle ». Le texte pointe une création plurielle, en l’occurrence duelle. Dieu crée d’emblée deux êtres différents et complémentaires appelés à vivre en vis- vis.
2) C’est clairement deux individus sexuellement distincts qui reçoivent le mot d’ordre, qui est aussi bénédiction de Dieu : « Soyez féconds et prolifiques… »
3) Cette altérité, appelée à devenir relation complémentaire, est développée dans le second récit de la création. La solitude d’Adam (le glébeux) est comblée par le don d’Eve. Et le récit marque l’altérité avec ce fameux jeu de mot : « Ish / Isha »
4) En Gn2,24, texte fondamental du mariage judéo-chrétien, une autre distinction est faite avec les mots « père et mère » pour dire la possibilité d’un foyer.
5) Plus loin, dans le récit du déluge, le même vocabulaire (mâle et femelle) est utilisé pour parler des couples d’animaux qui entrent « deux par deux » dans l’arche.
6) Enfin, n’oublions pas la toile de fond de Gn 1. Ce chapitre dépeint l’action du Créateur qui distingue les éléments : la lumière des ténèbres, les eaux d’en haut et d’en bas, le soleil pour le jour et la lune pour la nuit… Du chaos, Dieu crée en distinguant les éléments naturels, les espèces et les genres. Cette distinction est précisément celle qui permet la relation et la vie !
7) J’accepte volontiers l’idée que l’être humain est complexe et qu’il porte en lui une part féminine et masculine. Mais reconnaissons honnêtement que cette observation est plutôt issue des découvertes psychologiques récentes que des récits de la Genèse que nous cherchons à comprendre ici.
Je termine aussi avec deux citations ; celles d’un théologien que l’on ne peut pas qualifier « d’évangélique » et dont la pensée me semble plus structurante et positive qu’« exclusive ».
« L’homme, à l’image de Dieu, est créé d’emblée homme et femme, marqué dans sa chair même du signe de la différence (1,27, cf. 5,2). La sexualité n’est pas un accident malheureux, c’est l’achèvement de la geste créatrice de Dieu : l’homme n’est pas créé seulement autre que le monde, ou autre que les animaux, il est créé, à l’image de Dieu, par une relation structurelle avec un autre que lui-même, expérimentant dans sa chair même l’ordre de la différence qu’il couronne et domine (Gn1,28) »
« Clé de voute de l’ordre de la différence qui structure le monde, la sexualité doit être vécue par l’homme et la femme comme le sens même de toute différence ; reconnue comme un appel à la relation organisatrice et créatrice, comme un appel à la lutte contre le désordre et le chaos toujours menaçants, dont la forme la plus insidieuse est la confusion des sexes. »
Eric Fuchs, Le désir et la tendresse, Labor et Fides, 1979, p.33-34
Olivier Bader

Et voici ma réponse (Armin Kressmann) :

Merci, cher Olivier, j’apprécie le débat. Qui pourrait te contredire ? Mon but n’est pas la déconstruction de l’altérité sexuelle. Je combats seulement son mise en évidence exclusive, et cela pas seulement au niveau biologique de la « nature humaine », mais aussi par une lecture biblique « autre », aussi possible me semble-t-il. Cette lecture ne veut rien d’autre qu’ouvrir une petite fenêtre vers une diversité qui permet l’inclusion et la bénédiction de relations d’amour autres qu’exclusivement hétérosexuelle. Aussi je condamne fermement le lien que certains font, notamment en milieu évangélique, entre homosexualité et péché. Ayant été confronté dans ma vie à tellement d’alternatives de l’altérité humaine fait que je me méfie du seul binaire. L’Esprit, donc la bénédiction, plane dès le début sur le chaos primordial. Celui-ci, peut-être, nous devrions apprendre à le considérer aussi positivement, comme les sciences modernes le font. Par ailleurs, notre Dieu, « abscons », pour nous n’est-il pas profondément « chaotique » ; ce n’est qu’à travers notre christologie et notre pneumatologie qu’il « prend forme » (« Gestalt ») humainement apprivoisable. Et qu’au départ Adam, l’humain, soit « bissexuel », pour parler avec Abécassis et Eisenberg, cela me parle aussi. Différenciation et individuation pour moi ne se laissent pas réduire à l’altérité sexuelle exclusive comme Eric Fuchs le fait. Enfin, « déduire beaucoup de choses de bien peu de mots » je le fais parce que ceux et celles qui insistent sur cette altérité sexuelle exclusive le font encore davantage, avec Genèse 1,27.

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