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Intégration, inclusion, accueil, accueil radical et tolérance en Église – Une Église qui n’est pas inclusive n’est pas une Église chrétienne

Une Église qui n’est pas inclusive n’est pas une Église chrétienne. Celle-ci, par définition, est inclusive ; l’autre est bienvenu et aimé, quel qu’il soit :

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. » (évangile selon Marc 12,30).

L’altérité n’est pas une raison d’exclusion, au contraire. L’autre, dans toute son altérite et grâce à elle, nous renvoie au tout-autre ; il est le sujet de notre cœur, de notre âme, notre pensée et notre force. Le même, celui qui est juste différent, – à ne pas confondre avec l’altérité1 -, celui qui me ressemble, que je comprends, qui pense comme moi et qui a les mêmes idées que moi, celui-là, il suffit de l’aimer comme soi-même. Et qui s’aime vraiment, profondément, avec toutes ses failles et ses faiblesses ?

Donc, parler d’une « Église inclusive » est une pléonasme. Je ne sais pas où est le problème d’accueillir au nom du Christ les enfants, les personnes handicapées, les athées, les étrangers, les homosexuels, les bouddhistes ou les musulmans, de les accueillir au nom de notre Dieu, dans nos églises et nos cultes et célébrations. Celui ou celle qui veut fêter Dieu avec nous et selon notre manière de le fêter, à notre table et avec nos rites, est bienvenu et je devrais l’accueillir comme si c’était Dieu lui-même qui s’invite chez nous. Le salut ne dépend de nous et de notre manière de le proclamer. Le salut n’appartient pas à l’Église. Noël, les bergers et les mages n’étaient pas des chrétiens.

Alors, tous ces discours sur l’inclusion et l’exclusion en Église, voire dans un pays qui se réclame d’une « culture chrétienne »2, n’ont rien à faire avec la conviction que nous inspire l’Évangile ; se proclamer « chrétiens » ou « appartenant à la culture chrétienne » n’a pas de lien direct avec la foi chrétienne autre que l’utilisation du mot en tant que tel à des fins politiques, n’exprime pas une confession de la foi, « fides quae creditur », et encore moins une posture ou une attitude chrétienne, « fides qua creditur ».

L’étranger, évidemment il me dérange, comme peut nous déranger dans nos habitudes l’enfant, la personne handicapée ou toute autre personne qui n’est pas comme moi ou qui ne pense et ne s’exprime pas comme moi ; mais Dieu me dé-range davantage. Ce n’est que dans son humanité, en Jésus Christ qu’il nous rejoint dans notre ressemblance, là où je peux le reconnaître comme un même.

L’Église n’est pas une association de « mêmes », mais un lieu de rassemblement qui compte devant et pour Dieu, le tout-autre, une communauté d’hommes et de femmes, et d’enfants, et … qui se reconnaissent reçus, accueillis et pardonnés par celui-ci, une assemblée de différents et autres.

L’inclusivité est essentielle à l’Église qui se veut chrétienne, qui se reconnaît en Jésus Christ, corps du Christ ; elle dépasse l’intégration. Celle-ci accueille tout un chacun, mais ne veut rien changer quand l’autre arrive et est accueilli. Au contrarie, elle demande à l’accueilli de s’adapter aux habitudes et convictions de « l’indigène » ; ainsi l’hôte, celui qui accueille, confond son hospitalité avec cette générosité et gratitude qui s’adapte à l’étranger et change avec lui.

Se pose alors la question des limites de l’hospitalité et de l’accueil, finalement de l’inclusion. Elles se dessinent et se dressent quand l’ensemble, le projet même de l’inclusion et ses fondements sont mis en question et menacés. La démocratie doit se défendre quand elle-même comme démocratie est menacée. Le chrétien se défend quand sa cause est menacée, non pas le Christ comme Seigneur, celui-ci supporte la mise en question, mais son projet d’accueil universel, la certitude que l’amour l’emportera sur la haine et qu’en ce Jésus de Nazareth cet amour s’est incarné dans toute son humanité. Ce n’est pas la divinité de Jésus qui pose problème, mais son humanité. L’amour est faisable ; voici le projet de l’Église. Et tout un chacun, chacune qui se reconnaît en ce projet est bienvenuE.

La tolérance connaît deux limites3 :

« … es gibt nicht nur eine, sondern zwei Grenzen der Toleranz : Die erste Grenze verläuft … zwischen dem, was toleriert werden muss, und dem, was nicht mehr toleriert werden darf. Die zweite Grenze hingegen markiert den Unterschied zwischen dem, was toleriert werden muss, und dem, was akzeptiert werden kann. Scheidet die erste Grenze das Tolerierbare vom Nicht-mehr-Tolerierbaren, trennt die zweite Grenze Toleranz von Akzeptanz. » (M. Schmidt-Salomon, p. 81)

Schmidt-Salomon rappelle donc cette deuxième frontière, – aussi importante que la première, plus évidente, celle qui sépare ce qui doit être toléré et ce qu’on ne peut plus tolérer -, celle qui se dresse entre ce qui doit être toléré, mais qui n’est pas accepté en tant que tel :

« Das Wort ‘Akzeptanz’ leitet sich vom lateinischen ‘accipere’ ab, das ‘annehmen’, ‘übernehmen’, ‘gutheissen’ bedeutet. Die Differenz zur Toleranz liegt auf der Hand : Was man akzeptiert, das toleriert oder duldet man nicht bloss, man ist mit ihm einverstanden, es ist keine Last, die man ertragen müsste, kein Leid, dem man entfliehen möchte. Das Akzeptierte heisst man gut, man erweist ihm Respekt, was gegenüber dem bloss Tolerierten nur um den Preis der Selbstverleumdung möglich wäre. » (p. 81)

En démocratie, il s’agit donc d’un vivre ensemble et tolérer de tout ce qui ne met pas en danger la démocratie et ce vivre ensemble en eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’amour, mais d’un simple respect, un respect à l’égard de tout humain en son humanité comme personne, un respect de la dignité humaine.

En Église, tout en reconnaissant aussi les deux mêmes frontières, le projet va plus loin, parce qu’il ne s’agit pas seulement de respect, mais d’amour, d’une acceptation inconditionnelle qui ne connaît qu’une seule condition, l’intolérance à l’égard du non-respect de l’acceptation inconditionnelle. L’évangile les dressent clairement, ces deux frontières, à travers les deux affirmations de Jésus qui nous semblent au premier abord contradictoires :

Tu toléreras même ce que tu n’accepterais pas pour toi, aussi longtemps qu’il vise la même finalité que tu t’imposes à toi-même :

« Ne l’empêchez pas, car celui qui n’est pas contre vous est pour vous. » (évangile selon Luc, chapitre 9, verset 50)

Le projet dépasse l’exclusivité d’une institution, ici celle des Douze ; aussi longtemps qu’il est reconnu en tant que tel, multiples sont les lieux qui peuvent le porter. Le salut est hors Église.

Tu ne toléreras pas ce qui met en danger le projet lui-même, le rassemblement de tous ceux et celles qui reconnaissent l’amour inconditionnel comme finalité ultime, même si eux, par leurs propres forces, ne parviennent pas à le réaliser :

« Qui n’est pas avec moi est contre moi et qui ne rassemble pas avec moi disperse. » (évangile selon Luc, chapitre 11, verset 23)

Quand le projet lui-même est attaqué, il n’y a plus de tolérance.

Armin Kressmann 2016

1Le différent diffère, il est décalé par rapport à un point commun, « porté » un peu plus loin, sur une échelle, par rapport à une norme commune ; l’autre est autre, il y a abîme entre lui est moi, infranchissable, il n’est approchable qu’à travers la foi, le cœur, l’âme, la pensée, en y mettant toute sa personne, mais toujours, quelque soit mon effort, autre : la femme et l’homme, autres … les deux humains, juste différents l’un de l’autre.

2Dans le programme du parti politique UDC Union démocratique du centre p. ex., le mot « chrétien » figure une dizaine de fois, sous forme de « fondement », « conception » et « culture » chrétien-ne.

3Michael Schmidt-Salomon ; Die Grenzen der Toleranz ; Piper, München 2016

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