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Turbulences ; Les Réformés en crise (Pierre Glardon et Eric Fuchs)

Je suis marié, hétérosexuel et j’ai deux enfants, mais je suis scientifique, Bernois et avec le Christ fou de Dieu. Suis-je encore réformé et apte au ministère du saint évangile dans l’Église évangélique réformée du canton de Vaud ?

C’est la question que je me suis posée après avoir lu le livre de Pierre Glardon et d’Eric Fuchs[1].

Crise des Églises réformées ? D’accord, mais est-ce grave ? Ou une simple dimension de la condition réformée ?

Disparition des Églises réformées ? Peut-être, mais serait-ce grave ? Seulement quand on confond spiritualité réformée avec paroisses et Églises locales (ou catholique) ; mais l’enjeu réel est le « Royaume ou le Règne de Dieu ».

« Vide éthique et spirituel » ? Non ! Mais confusion, oui, crise, oui, donc chance pour tout humain de « devenir ou d’être réformé », sans appartenance à une Église réformée.

La spiritualité réformée, c’est le sujet de ce livre, être réformé aujourd’hui, pour moi, c’est :

  • Rejoindre les gens là où ils sont et, sans les juger, les accompagner dans leur recherche, cheminer avec eux, avec l’équipement spirituel qui est le nôtre.
  • Dans une théologie empathique qui met au centre le crucifié (et ressuscité), c’est-à-dire l’homme ou l’être souffrant avec toutes ses potentialités de résurrection, de nouvel être (sans tomber dans les dérives du « reborn »).
  • Une spiritualité qui ne se réduit pas à l’ascétisme et la discipline.
  • Mais une spiritualité qui soigne la dimension ludique et hédoniste du Royaume de Dieu mystérieusement réel et présent.
  • Qui met en conséquence la souffrance non pas dans l’exercice et la discipline (de l’être croyant, de la spiritualité, du ministère, etc.), mais comme fait  de la condition humaine et chrétienne telle qu’elle est (fait comme « Tatsache », dans le sens wittgensteinien, donc accessible à la « science », le savoir positif).
  • Qui, par conséquent, refuse catégoriquement de faire de l’exercice et de la discipline un lieu théologique, mais met ceux-ci, toujours honorables et importants, dans le deuxième usage de la loi, donc dans la discipline ecclésiastique d’une Église comme organisation humaine comparable à toute autre institution humaine.
  • Qui accepte l’Église comme communauté « unheiliger Heiliger » (Barth), d’êtres humains a priori saints (par grâce et appartenance) dans leur non-sainteté.
  • Qui en tire les conséquences éthiques, d’accord, mais qui ne les impose pas, ou, quand elle les impose, comme Glardon et Fuchs le proposent, en tout cas pour les « ministres », dit clairement que cela s’impose non pas pour des raisons théologiques, mais purement institutionnelles (donc aliénées ; je pourrais encore entrer dans un débat sur le troisième usage de la loi, mais même là je refuserais d‘en faire un sujet de foi ; il ne s’agirait pas de foi en le troisième usage, mais toujours de foi « EN la Grande Nouvelle », évangile selon Marc, chapitre 1, versets 14 et 15).

Dans ma lecture de ce livre je ressens un pessimisme que je ne partage pas, et dans les propositions faites, notamment sur l’accompagnement spirituel et l’apprentissage dans le domaine du spirituel, un basculement d’une théologie de la grâce à une théologie qui fait de l’exercice spirituel et de l’éthique un devoir ou une obligation (« Pflicht »), donc à une théologie des œuvres. L’ascétisme n’est qu’une voie, traditionnelle, de l’exercice spirituel, la mystique en est l’autre, traditionnelle, et l’hédonisme (peut-être comme mystique) une troisième, moderne :

la joie d’être réformé, la liberté de penser librement (hautement hédoniste ; le plaisir de penser) et la liberté de croire (aussi hédoniste ; le plaisir de croire), la rencontre avec le Christ vivant, ressuscité, dans la rencontre avec autrui (le plaisir de la rencontre), en quête, souffrant, celui qui a besoin de moi, ou celui qui m’offre quelque chose (mérite du livre que je discute en ces lignes), débordant, « danser, chanter », ensemble, échanger, se disputer, s’aimer et se détester, – tout en s’aimant -, homosexuels ou divorcés, comme hétérosexuels ou mariés, toujours au service DANS cette Grande Nouvelle :

regarder autrui comme un être comme moi et ne pas confondre ce qu’il est avec ce qu’il fait ou subit, dit ou omet.

Le reste appartient à Dieu (ou aux catholiques ou aux évangéliques), ou à l’État, ou à la simple discipline de l’Église pour ceux qui discernent dans l’Église réformée comme institution aussi, – comme moi, faisant avec joie et bonheur partie du reste, misérable et minable peut-être -, une parcelle possible du Royaume. Mais il y en a d’autres parcelles … et c’est la tâche propre aux réformés de le proclamer. Le salut « hors Église » est possible, mais pas le salut hors Christ, l’être souffrant.

L’amour inconditionnel, « l’agapè » que défendent fondamentalement Pierre Glardon et Eric Fuchs, – « l’amour consacré à autrui, mais autrui considéré dans sa qualité fondamentale d’être un humain et un  prochain » -, ne connaît pas ce « mais » qui traverse à mon avis leur livre :

Tu peux être homosexuel ou divorcé, mais tu ne peux pas …

J’y réponds : tu es ce que tu es, et tu peux …

Armin Kressmann 2012


[1] Turbulences ; Les Réformés en crise ; Ouverture, Le Mont-sur-Lausanne 2011

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