L’éthique est l’enjeu principal d’une théologie réformée et le lieu de ce que les Églises évangéliques réformées proclament et défendent devient manifeste et visible. Sur ce point je rejoins Pierre Glardon et Eric Fuchs, tel que je les ai compris à travers leur livre « Turbulences – Les Réformés en crise », tout en m’opposant à leur argumentaire.
Comment se positionner donc en tant qu’aumônier (réformé) dans l’univers institutionnel et comment dire ce qu’il y a à dire, ce qui s’appelle « l’Évangile »[1] ? Être gentil ne suffit pas, même si autant l’État que les Églises, consciemment ou inconsciemment, font tout pour le cantonner dans cette dimension : le culte et la diaconie. Celui qui nous mandate théologiquement[2], nous mandate aussi de dénoncer ce qui ne va pas[3], ce qui est injuste et contre notre conviction profonde (cf. px. Jean 16,8 ou Matthieu 5) : le fait institutionnel en lui-même (« le shabbat »), pris comme solution définitive ou finalité[4]. Toute institution est menacée de se prendre comme finalité et, au lieu de servir l’homme, d’exiger de l’homme de la servir. Ce constat, en bonne théologie chrétienne, s’appelle le premier usage de la loi, celui qui « révèle le péché », en l’occurrence l’institution socio-éducative comme lieu d’exclusion. C’est lui qui m’a amené à cette hypothèse de travail qui est à la base des réflexions menées sur ce site Internet : c’est l’institution qui handicape.
Mais, en tant que réformés[5] nous insistons aussi sur le troisième usage de la loi, – pour Calvin théologiquement le plus important -, didactique ou pédagogique, donc constructif, la capacité de la loi, – donc de l’institution, là où elle ne se prend pas comme finalité, mais pleinement au service de l’homme -, de manifester, rendre visible (« sacramentel »), la parole ou la grâce reçue en l’œuvre accomplie par Dieu en Jésus-Christ.
Je postule alors, tout simplement : ce que la tradition appelle premier et troisième usages de la loi (le deuxième étant la société qui, à travers ses institutions profanes, s’organise elle-même, sans enjeux théologiques), aujourd’hui, n’est rien d’autre que ce que nous appelons « éthique théologique ». Et c’est du devoir des chrétiens et aumôniers, de tous et de toutes, d’en faire … C’est pour cela que le Christ les envoie « dans le monde » (Matthieu 28,16ss ou Jean 16,5ss ; et non pas pour en faire des membres d’une Église quelconque), en l’occurrence le monde institutionnel.
« Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre, – le monde qui sépare et exclue, qui quantifie, hiérarchise, classifie, divise et discrimine, l’institution dans sa grandeur et dans sa petitesse -, ont disparu, et la mer, – tout ce qui menace, trouble et angoisse -, n’est plus. » (suite à Apocalypse 21,1)
L’éthique, c’est la dimension prophétique du mandat d’aumônier, le lieu où « utopie et uchronie »[6] deviennent réalité.
[1] La « Grande ou Bonne Nouvelle » du « Royaume de Dieu », en d’autres termes une réalité (utopique et uchronique, mais possible ; déjà et pas encore ; cf. plus bas) qui transcende ce qui est, est « fait », pris comme fait naturel et/ou « normal », en l’occurrence l’institutionnalisation comme exclusion.
« Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. » (Jean 20,21)
« Recevez l’Esprit Saint ; ceux à qui vous remettrez les fautes, elles leur seront remises. Ceux à qui vous les retiendrez, elles leur seront retenues. » (Jean 20,23)
« ‘C’est le sabbat, il ne t’est pas permis de porter ton grabat.’ … c’était Jésus qui l’avait guéri. Dès lors (ils) s’en prirent à Jésus, qui avait fait cela un jour de sabbat. » (Jean 5,10 et 15.16)
[5] Les Églises protestantes se référant à la Réforme de Melanchthon, Zwingli, Bucer, Calvin, etc.
[6] Quand l’infinitude et l’éternité font irruption dans l’événement non-événement et lui donnent du sens là où néant et non-sens risquent de s’imposer : la vie plus forte que la mort, – en l’occurrence par l’exclusion la non-participation à la vie -, théologiquement « résurrection ».
« C’est l’institution qui handicape », pleinement d’accord! C’est aussi elle qui tend à transformer une éthique théologique porteuse d’espoir et de liberté en une casuistique moralisante et mortifère. L’ouvrage de Glardon et Fuchs est exemplaire à ce titre. On y voit les bonnes intentions se transformer en principes d’exclusion. C’est ce qui arrive quand on se pose en sauveurs de l’institution, au lieu d’accepter que la crédibilité de l’Eglise vient d’abord de celui qui l’appelle à l’existence.
Charly: L’Eglise existe, n’est-ce pas? Donc elle n’est pas!
Merci, Olivier, pour le commentaire, et pour Charly, une figure peut-être plus universelle qu’on pense.
Être ou exister, c’est la question.