Le temps presse ! Réflexions pour sortir les Eglises de la crise (Virgile Rochat)

Le titre est alarmiste ; il me rappelle l’appel adressé au monde par Carl Friedrich von Weizsäcker dans les années 80, « Die Zeit drängt : eine Weltversammlung der Christen für Gerechtigkeit, Frieden und die Bewahrung der Schöpfung“. Le livre de Virgile Rochat[1] aurait mérité mieux[2]. Il est factuel, simple, direct : après un constat de crise des Églises historiques et une présentation des causes, il donne des perspectives et propose des concrétisations. C’est utile, peut-être trop utile. Le temps presse, c’est vrai ; c’est biblique déjà. Mais le temps presse non pas parce que les Églises (historiques et occidentales) sont en crise, mais parce que des décisions de foi sont à prendre : pour le chrétien, le royaume est imminent. Pour chacun et chacune il est de nouveau imminent. Des décisions sont à prendre non pas pour sauver les Églises, « les sortir de la crise », mais pour que tout être humain puisse trouver le chemin dans sa vie face à la complexité de ce monde qui nous dépasse. La condition chrétienne est une condition de crise ; plus que jamais. Et c’est une grâce.

Cela dit, pour moi, c’est un bon livre, plus sociologique que théologique.

D’où peut-être cette ambition de vouloir sauver des institutions. Je partage l’esquisse des offres présentée au début du livre[3], offres protestantes, réformées, voire vaudoises :

  • L’ouverture
  • sans opposer la foi à la raison
  • qui s’inscrit « dans notre culture » (« et non en contre-culture »)
  • qui contribue au lien social
  • « un service public à disposition de tous »
  • dans « une attitude religieuse qui intègre le souci de l’autre en tant que tel »
  • et en « dialogue avec les autres conceptions philosophiques[4] … et les autres religions »
  • accueillant « des gens tels qu’ils sont »[5]

C’est précieux, et spécifique, voire unique ; aucune autre Église ne couvre ce champ.

Je me retrouve aussi en ce que dit Virgile Rochatsur les « accents théologiques à changer[6] » :

  • la « kénose », le dépouillement, le retrait
  • l’incarnation (« le christianisme est un humanisme »[7])
  • la création (« le christianisme est un écologisme »)
  • la réhabilitation de l’humain, « à l’image de Dieu » : « Ce qui fait la misère du monde n’est pas l’humain, mais le non-accomplissement de celui-ci »[8]
  • la bible comme « livre de la quête humaine d’une vie juste, belle et bonne, de ce qu’on appelle parfois le bonheur »[9]
  • les approches mystiques et paradoxales, donc une théologie négative

J’ai un peu plus de peine avec « la foi chrétienne est une ‘énergétique’ »[10], le « souffle divin » étant pour moi plus avocat (« paraclet »), défenseur de la parole de Dieu devant l’homme et, s’appuyant sur cette parole, de l’homme devant Dieu.

M’étonnent cependant quelque peu les conclusions et concrétisations, plus axées sur la visibilité et ce qu’on pourrait appeler avec Paul Tillich le « principe catholique », étant souvent plus proche de ce que Virgile Rochat appelle « contre-culture »[11] et qu’il intitule lui-même « Réhabiliter la ‘religion’ ».

Je maintiens, sans polémique, mais dans une vision de partage des tâches qui nous sont remises :

l’Église aux catholiques, Dieu aux évangéliques et l’humain aux réformés, toujours et encore dans cette vision johannique fondamentale :

« Dieu, personne ne l’a jamais vu. » (évangile selon Jean, chapitre 1, verset 18).

C’est un homme qui nous l’a dévoilé. Reconnaître en celui-ci Dieu lui-même est tout le défi, et finalement ce qui sauve l’Église :

« Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père. »

Et j’échange volontiers les Églises contre le royaume de Dieu. Alors, si la disparition des premières annonçait l’avènement du second ? C’est trop court, je sais, et c’est l’institution qui me paye, et non le royaume.

Le livre de Virgile est donc utile.

Armin Kressmann 2012


[1] Labor et Fides, Genève 2012

[2] Je me demande si c’est l’éditeur …

[3] p. 10s

[4] C’est courageux : la foi protestante réformée est (aussi) une philosophie ! (sinon « autres » tomberait, ou non ?)

[5] pourquoi pas « les » gens, si on veut rester « multidiniste » ?

[6] p. 84ss ; peut-être pas à « changer », mais à « (re)mettre », suite à bien de penseurs et théologiens qui nous ont précédés

[7] pourquoi pas socialisme et libéralisme, les deux à la fois, dans le sens philosophique et morale ?

[8] p. 92

[9] p. 93

[10] p. 91

[11] Une « contre-culture », – par sa visibilité dans le paysage de la pluralité des cultures -, qui est aujourd’hui plus attrayante, « sexy » dirait-on, que ce que nous vivons dans la « culture ». Il y a donc deux niveaux de « cultures », les « cultures » faisant partie de la diversité des cultures et la ou les « méta-culture(s) » (la modernité ?) qui les englobe (!), dont la globalisation est justement de nouveau une expression visible. Ce qui reste comme principe universel plus ou moins reconnu sont les Droits de l’Homme, principe auquel les réformés se sentent proches et dans lequel, conséquence de cette proximité, ils risquent de s’y perdre.

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Une réflexion au sujet de « Le temps presse ! Réflexions pour sortir les Eglises de la crise (Virgile Rochat) »

  1. Cher Armin,
    Merci de ton commentaire
    Juste une réaction pour le titre. C’est en effet l’éditeur qui l’a choisi. J’aurais préféré :
    « De la contrainte au dialogue » ou :  » de faire pour à être avec! » mais bon…

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