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« Mariage pour tous » et le récit de la création (Genèse 1,27) – Non, la bible ne dit pas : « Il créa l’homme et la femme » – Lettre ouverte aux amiEs évangéliques

CherEs amiEs évangéliques1,

Dans le débat sur l’homosexualité et le « mariage pour tous », vous les « évangéliques », dans les Églises réformées et au-delà, insistez sur la nécessité d’avoir « des fondements bibliques et théologiques ». Je suis entièrement d’accord avec vous. Mais je vous invite à aussi entendre ce qui est écrit dans la bible.

Quand vous dites, après la recommandation de la FEPS d’ouvrir le mariage à tous … :

« Elle bouleverse toute la compréhension chrétienne du mariage : un homme et une femme unis par Dieu (Mt 19,4). « 

… vous interprétez les textes bibliques à partir de votre vision du mariage, et non pas le mariage à partir des textes. Votre lecture n’est pas fausse en soi, mais elle néglige, voire exclue toute autre lecture possible. Avec votre vision du mariage exclusivement réservé à un homme et à une femme, vous faites aussi une lecture biblique exclusive, une lecture qui, en plus, ne correspond pas forcément à ce qui est écrit.

Avec l’évangile selon Matthieu vous demandez, en mettant en évidence même :

« N‘avez-vous pas lu…? » ( Mt 19, 4)

Et vous avancez le premier récit de création et notamment les versets Genèse 1,27.28 pour défendre l’altérité sexuelle exclusive.

Vous dites dans la « Déclaration sur le ‘mariage pour tous’ dans l’Eglise » :

« L’homme et la femme se complètent l’un l‘autre dans l’altérité sexuelle. Cette base formulée dans Genèse 1 et 2 est confirmée par Jésus-Christ lui-même comme alliance du mariage (Mt 19, 4-6 ; Mc 10, 6-9): « N’avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, fit l’homme et la femme et qu’il dit : «  C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux deviendront une seule chair › ? » Ce n’est que dans le cadre de cette complémentarité que la transmission de la vie est possible. La bénédiction de la création (Gn 1,28), sur laquelle est basée la bénédiction du mariage, contient l’aspect de la réception de la vie et de la transmission de la vie comme don de Dieu. »

Je n’ai rien contre cette lecture, mais ce qui me dérange, encore une fois, c’est que vous en faites une lecture exclusive. Pour vous, qui défendez l’union exclusive entre un « homme » et une « femme », il n’y pas d’autres lectures possibles que celle qui dit que le créateur, justement, « fit l’homme et la femme », en vue de la procréation.

Ce n’est pas ce qui est écrit dans la bible :

En Genèse 1,26-28 il est écrit :

Dans la traduction d’André Chouraqui

« Elohim (« Dieu », un pluriel) dit : ‘Nous ferons Adam – le Glébeux » à notre réplique, selon notre ressemblance …’. Elohim crée le glébeux à sa réplique, à la réplique d’Elohim, il le crée, mâle et femelle il les crée. Elohim les bénit. Elohim leur dit : ‘Fructifiez, multipliez, emplissez la terre, conquérez-la.’ »

Dans la Traduction Oecuménique de la Bible (TOB) :

« Dieu dit : ‘Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance …’. Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa. Dieu les bénit et Dieu leur dit : ‘Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la.’ »

Jésus reprend et dit :

«  … le Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle … (Matthieu 19,4 TOB)

« … au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle … » (Marc 10,6 TOB)

Chouraqui : « Entête, le créateur mâle et femelle les fit. » (Matthieu 19,4)

1. Ici, Dieu UN est pluriel, au moins « double » dans votre lecture, en lui-même, UN, l’unique, multiple pour moi2.

2. Il crée l’homme « à sa réplique », double ou multiple en lui-même, tout en étant unique, Adam, en soi.

3. Cet homme est le « Mensch », l’humain, « Adam tiré de l’adama », le terreux, le glébeux tiré de la terre (de l’humus) ; Adam n’est pas le mâle ; en lui il est multiple.

4. Différenciation il y a par la suite, en féminin et masculin, Adam féminin et masculin (mâle et femelle), voire en deux, « homme et femme » (surtout avec Genèse 2).

5. Puis bénédiction il y a.

6. Enfin projet de reproduction.

Évidemment altérité sexuelle il y a, et cela en vue du prolongement de la création par l’humain ; mais, analyse faite, celle-ci n’est pas aussi exclusive, « homme et femme », binaire, comme vous le présentez pour défendre l’exclusivité du mariage « hétérosexuel ». Dans la bible, à l’origine déjà, « commencement, principe, entête », donc voulu par le Dieu UN et reflétant son être et sa volonté, l’humain, l’unique est multiple.

Josy Eisenberg et Armand Abécassis, A Bible ouverte ; Albin Michel, Paris 1991, p. 120ss :

« Elohim dit : Faisons un Adam … »

« Le verset 26 décrit le projet divin : créer un homme. Au verset 27, nous en découvrons la réalisation. Dans l’annonce, il s’agissait d’un Adam, de l’homme. Et nous avons longuement insisté sur le fait que cet homme est unique. Or, lorsque nous lisons la manière dont l’homme est créé … nous constatons qu’il est unique, mais qu’il n’est pas un.

… son unité n’est pas simple : elle est composé d’un côté masculin et d’un côté féminin. C’est ce qui constitue le mythe de l’andogyne (mises en évidence par AK) … L’homme est réellement fait d’un principe ‘mâle’ et d’un principe ‘femelle’.

L’Adam bissexuel

Dans le chapitre I de la Torah, l’homme en général est conçu comme double, et, entre les deux principes, est soulignée une affirmation d’égalité. … Le masculin et le féminin ne sont pas seulement des êtres extérieurs l’un à l’autre … ce sont aussi des aspects intérieurs d’une même personne, de l’homme et de la femme. »

L’altérité sexuelle n’est donc pas exclusive, ni dans la nature, ni dans la bible ; dans la bible non plus, j’y insiste.

Et cela se confirme même par le nom de Dieu avancé dans notre passage, Elohim, un pluriel dont l’humain, toujours selon la bible, est « image », ou « réplique » selon André Chouraqui.

Armin Kressmann 2019

1« evangelikal » en allemand ; en tant que membre de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud, je me revendique aussi évangélique.

2On pourrait aussi le ramener à la trinité, où l’Esprit est féminin.

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