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« L’islam conquérant » Et si Shafique Keshavjee avait raison ? Chantier de perplexité (Armin Kressmann)

L’islam conquérant (Shafique Keshavjee) – Ministérielle EERV 15.11.19 Crêt-Bérard

Shafique Keshavjee, L’islam conquérant – Discussion

Mea culpa !

Ma réaction aux propos tenus par Shafique Keshavjee dans son dernier livre « L’islam conquérant » était hâtive, guidée par un pressentiment et l’intuition. Shafique, n’y croit-il plus ? Y a-t-il cru, autrefois, ou non ? Aussi, qui pourrait le contester, elle était faible, comme il le relève à juste titre dans la réponse qu’il m’a adressée.

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Mauvaise excuse : un blog est un blog, un journal de bord, témoignage de ce qui se passe à bord, chez moi, quand il arrive ce qui arrive à bord, ce que je pense et ce que je crois, par rapport aux hommes et par rapport à Dieu. Mauvaise, l’excuse, parce que le sujet est trop sérieux pour être traité hâtivement. Et pourtant, quand il s’agit de Dieu, et des hommes, y a-t-il un sujet, quel qu’il soit, aussi mineur qu’il nous semble, qui n’est pas sérieux ?

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Pas d’excuse, mais toujours des questions, – qui par ailleurs ont déjà traversé mon esprit lors de la première lecture du livre -, l’une me concernant moi, comme sujet ré-fléchissant, l’autre l’Église dans son ensemble, – c’est ce qui m’intéresse, d’où peut-être aussi une partie de mon malaise -, mais les deux, l’individuel et le collectif, étant étroitement liées :

  • Ce livre, pourquoi je ne l’aime toujours pas ? Pourquoi mon malaise (qui m’a poussé à être hâtif) ? Mon « non », – je le maintiens, après la relecture du livre -, d’où vient-il ?
  • Et quoi maintenant si Shafique Keshavjee avait raison ?1

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Première réponse possible : malaise parce qu’il pourrait avoir raison. Redoutable, mais dans sa logique banale et implacable.

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Allons plus loin (vas-y plus loin, devrais-je maintenant dire) : malaise parce qu’est attendu quelque chose de l’autre, – ici des musulmans -, à tort ou à raison. Le problème c’est l’autre. Je n’aime pas ça. D’autant plus, c’est ainsi que je l’ai compris, si l’autre était fidèle à ses sources et à sa tradition le conflit (la guerre !) serait inévitable, là où, si nous étions fidèles aux nôtres, nous, l’humanité, attendrait la paix.

Et si les atrocités commises par des « musulmans » étaient le résultat d’une infidélité à l’égard de leurs sources, – ce que me semble-t-il Shafique Keshavjee conteste -, comme l’étaient celles commises par des « chrétiens » par le passé ? Suis-je trop chrétien, ou de « culture chrétienne », naïf, « lieb und nett », pour argumenter ainsi ? Trop inculte aussi ?

En tout cas, j’ai abandonné toute pensée par « systèmes suprêmes » et je sais que l’autre a toujours raison2. Par rapport à la suprématie, le carré noir sur fond blanc de Kasimir Malevitch me suffit ; et ce n’est pas une boutade, même si, avec ça, je me plante de nouveau.

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Mais si Shafique Keshavjee avait raison ?

Est-ce à lui, et nous avec lui, de le dire ? Nous, chrétiens suisses qui disons aux musulmans (je résume ce que j’ai compris) : nous avons bien compris votre religion, peut-être mieux que vous-mêmes ; ou bien vous restez fidèles aux fondements de votre foi et maintenez en conséquence une volonté de la conquête inéluctable du monde, si nécessaire par la guerre, donc à nous de vous combattre, ou vous renoncez à ce qui fait l’essence de votre foi, votre « système », et devenez pacifiques, et c’est ainsi que nous pouvons vous accepter comme partenaires face à l’État ?

Est-ce à nous de le demander, et cela sous une forme que je considère comme une double contrainte ?

Que disent les chrétiens du Proche Orient ?3

Et les juifs après la Shoah ?4

Jean Lasserre et Dietrich Bonhoeffer et la question de la « guerre juste » ?5

Incomparables ?

« Pence: Iran befürworte zweiten Holocaust » (NZZ, 16.2.19)

Shafique Keshafjee : « À bien des égards, ce qui est qualifié avec crainte et mépris comme islamisme (« une politique ») semble être un visage plus conforme à l’islam des origines (« un tout politique et religieux ») que ce qui est souvent défini de manière rassurante et pacifiante comme islam (« une religion » sans politique ). » (p. 61) « … pour de nombreux musulmans qui connaissent très bien l’ensemble de ces textes fondateurs, l’islam est un Système suprême appelé à dominer le monde. » (p. 67) « … l’islam comme Système suprême dont la visée finale est la domination sur le monde ». (p. 71) « Pour les non-musulmans, l’islam est séducteur car il cache son visage violent. » (p. 79) « Pour beaucoup d’Occidentaux, la guerre est la pire des réalités. Or, l’islam enseigne qu’il y a quelque chose de bien pire que la guerre : c’est le désordre, la subversion ou la sédition (fitna) qui détourne les hommes de Dieu. » (p. 107) « L’islam se présente comme « religion de paix ». Mais cette paix n’est réelle que pour les musulmans. Pour les autres, c’est la guerre. Par la persuasion, les contraintes, les vexations ou les armes. Sous la paix est camouflée une guerre. » (p. 118) « Une étude sereine de l’histoire peut pousser à la conclusion suivante : la Première Guerre mondiale n’a pas commencé en 1914, mais en 630 quand Mohammed envoya ses troupes à la conquête des autres empires. Et cette guerre ne s’est jamais arrêtée depuis. » ( p. 130, c’est moi qui ai mis en gras)

A qui donc de le dire, si ce n’est pas à Shafique Keshavjee, et à nous avec lui ?

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Est-ce ça, la perspective qui nous attendrait si les musulmans étaient reconnus dans notre canton de Vaud ?

Shafique Keshavjee : « … une reconnaissance politique des communautés musulmanes, sur la simple parole de leurs responsables affirmant qu’ils se conforment aux « droits de l’homme », serait suicidaire.

Il est indispensable que les responsables musulmans explicitent comment ils renoncent effectivement à tous leurs textes violents, conquérants et guerriers.  » (p. 64)

Voici donc le front polémique.

Shafique Keshavjee : « Aujourd’hui, des partenaires musulmans peuvent vous assurer que ces textes violents, qu’il faut replacer dans leur contexte historique, sont dépassés. Mais tant que ces textes ne sont pas mis en lumière, réinterprétés, voire bannis, rien n’assure que demain des citoyens musulmans, voulant être fidèles à leurs sources, ne les réactivent. Et dans ce cas, une guerre civile est assurée. » (p. 166)

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Enfin, je n’aime pas me retrouver dans le mauvais camp. Pourtant je le suis, que je veuille ou non. Par ailleurs, lui aussi ; et il sera instrumentalisé, offrant lui-même les arguments pour le faire.

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Mon pressentiment, mon intuition ? Ils se consolident.

« Et le christianisme ? » (Shafique Keshavjee, p. 153ss)

L’enjeu, celui qui compte pour moi, ma foi, notre foi, la foi de mon Église : croyons-nous encore en l’Évangile, notre source et notre tradition ? Ou sommes-nous comme les musulmans, tels que Shafique Keshavjee les décrit, et comme je ne les aime pas, moi non plus, avec lui ou contre lui ?

Je pense donc, je le crois, qu’il s’agit de pardon, d’un pardon ou d’une grâce qui nous précèdent, et c’est cette foi qui me met mal à l’aise à la lecture de ce livre. Et c’est un pardon qui est offert à tous. Mais qui suis-je pour l’invoquer ? Et le profil bas, maintenant, n’est-ce pas une attitude, comme le haut l’était, lui aussi ?

Je pense et je crois qu’il s’agit de relations, de personnes à personnes, parce que ma foi ne se fonde pas sur un système, mais s’enracine dans la vie et les paroles d’une personne.

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Qui es-tu, toi mon ami, pour le dire à Shafique Keshavjee ? Qui es-tu pour le contredire ?

Quel Shafique ?

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Armin Kressmann 2019 … et c’est un blog : il n’attend pas de réaction, mais se réjouirait s’il y en avait …

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Dans l’absolu, l’amour de l’ennemi et l’amour de Dieu ne se confondent-ils pas ?

Et si les deux le sont dans l’absolu, qu’est-ce que cela donne dans le relatif, quand ils s’incarnent ?

Le penser, est-ce trop simple quand ta vie et celles des tiens ne sont pas en jeu ?

Là où je suis, puis-je être chrétien ?

Ne suis-je pas plutôt musulman, tel que Shafique Keshavjee les décrit ?

Ou l’impensable, l’imprononçable, dans notre contexte, moi aussi ?

Celui qu’évoque Shafique, consciemment ou inconsciemment ?

De quoi et de qui parlons-nous ?

« Le voici … » (La Nuit)

Avons-nous perdu le goût de l’Évangile ?

Le reste est de l’ordre du deuxième usage de la loi, et, peut-être, oui peut-être, espérons-le pour les musulmans, du troisième …

1 Je crois que je n’ai pas dit qu’il ait tort, ou non ?

2 Et si c’était ça le terrain d’entente avec les musulmans théologiens ?

3 La préface du livre formulée par Henri Boulad, « prêtre jésuite syrien et ancien directeur de Caritas en Égypte » est violente : «  l’islam, qui semble être a ujourd’hui LE problème numéro un de la planète », « l’étrange aveuglement de l’Occident est le signe d’une civilisation décadente … Par son aveuglement masochiste et sa haine d’elle-même, l’Europe participe ainsi activement à sa propre destruction avec hargne, une obstination et une délectation morbide, qui tiennent de la pathologie. » (p. 20)

4 « Nous les Juifs avons une longue expérience dissons notre foi en Dieu, le Dieu d’Israël et de l’Humanité toute entière ; gardons notre confiance en l’homme, malgré les amères déceptions qu’il nous a été causées : créé à l’image de Dieu, il cache en lui, souvent sans le savoir, une étincelle divine qu’il essaie en vain d’étouffer, mais qui est toujours prête à éclairer sa confiance. » (Alexandre Safran ; La Shoah en héritage ; Labor et Fides, Genève 1996, p. 107ss)

5 Shafique Keshavjee parle de ce qu’est considéré comme « guerre juste » dans la christianisme (« … textes guerriers (de la Bible) … lus à la lumière de la non-violence du Christ ») et le judaïsme, p. 174s

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