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Médecine, santé et spiritualité : la question de la transcendance

Mardi passé, le 9 mars, j’étais avec Charly au CHUV, l’hôpital cantonal vaudois, à la troisième soirée de conférences sur « Médecine, santé et spiritualité ».

A la sortie, Charly me dit :

« Les choses commencent à se décanter. Quand la science, en l’occurrence la médecine et la sociologie, parle de santé, c’est pertinent ; mais par rapport à la spiritualité, c’est bien naïf. Elle a déjà de la peine à définir la santé, mais l’ambition de vouloir définir la spiritualité est une contradiction en soi. Comment définir ce qui, par définition, est indéfinissable ? »

Je pense que Charly a raison. Tenir compte en médecine de la dimension spirituelle de l’être humain, du patient, est un net progrès. Mais la traiter comme la santé ou la maladie dans une approche médicale et scientifique est se tromper de cible.

Quand il s’agit d’ultime, de « cause des causes », comme disait John-Paul Vader hier, on est plus dans la science, en tout cas pas dans les sciences de la nature ou les sciences sociales, mais dans la philosophie, peut-être, et dans la théologie.

« Comment mesurer ce qui compte  vraiment, les ressources spirituelles, les principes spirituels, les composantes de la santé spirituelle ? »

était au centre des débats,

« quelle est la structure du spirituel ? »

demandait Francesco Panese, et on a parlé de « capabilité », de justice sociale, de morale. Le débat politique et philosophique de la fin du 20ème siècle désormais, au 21ème, dans un nouvel emballage, le spirituel ?

Le débat sur la santé spirituelle ne peut pas faire fi  de la transcendance, comme c’était largement le cas jusqu’à présent lors des conférences que nous avons entendues. C’est là, dans la transcendance, que réside « la cause des causes », mais c’est aussi la transcendance qui, par définition, par essence si elle existe, ne se laisse pas définir. Ce n’est que la religion qui a l’audace de le faire, mais, comme nous le savons bien, elle l’aliène toujours, d’une manière ou d’une autre, par ses tentatives de la ramener dans l’immanence. La « structure de la spiritualité » est religion, mais la structure ne dit jamais ce que c’est ce qu’elle veut structurer. Instituer, et c’est la religion qui institue la  spiritualité, n’est pas seulement structurer, mais aussi aliéner, déformer et trahir.

Et je pense, avec Wittgenstein, que même l’art et la morale, donc l’éthique, sont, en dernière instance, transcendants et échappent à une définition scientifique.

« Quelle position étrange que celle qui est adoptée par les scientifiques : ‘Nous ne savons pas encore cela ; mais cela peut être su, et ce n’est qu’une question de temps, de sorte qu’on le saura’. Comme si cela allait de soi. »

Ludwig Wittgenstein 1941

Un seul mot définit le spirituel, d’une manière radicale : « Dieu » ! Mais la médecine, à juste titre, se méfie de Dieu. Ne confondons pas les sphères !

Cependant, la question reste pertinente : comment recevoir Dieu à l’hôpital, et si ce n’est que pour éviter que les médecins se prennent pour Dieu.

A la fin, il y avait une phrase qui a touché Charly, parce qu’elle a mené tout le débat sur le point ; dans la discussion quelqu’un disait :

« Spiritualité est ce qui reste quand on a tout expliqué. »

Et encore Ludwig Wittgenstein, avec ses mots :

« A supposer même que toutes les questions scientifiques possibles soient résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore intacts (gar nicht berührt). »

Tractatus 6.52

Armin Kressmann 2010

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