Le libéralisme et ses problèmes

Une critique du libéralisme pour renouveler le libéralisme, c’est ce que je tente dans mes travaux, parce que je reconnais ses valeurs, liberté et responsabilité, autonomie et autodétermination, mais parce que je connais aussi ses limites. Il a de la peine à penser ce qu’il revendique pour ceux et celles qui ont de la peine, temporairement ou durablement, à penser et à vivre ce qu’il revendique. Et ceux-là sont plus nombreux que le libéralisme veut le faire croire.

Chacun, chacune de nous, à n’importe quel moment de sa vie, peut s’y retrouver, dans une situation de vie où ses capacités d’autonomie, d’autodétermination et de discernement sont atteintes et réduites, voire absentes ou nulles. Le libéralisme reste muet ou démuni face à des situations d’autonomie personnelle gravement restreinte par les circonstances de la vie, la maladie, le handicap, des dépendances physiques, psychiques, spirituelles ou sociales, personnelles ou structurelles. En ces situations le libéralisme, – au mieux, s’il assume sa responsabilité -, bascule vers un communautarisme ou un paternalisme naïfs, – c’est-à-dire non réfléchis et philosophiquement ou théologiquement travaillés, par conséquent vers une bienfaisance par mauvaise conscience ou du type aumône -, et trahit en ces moments-là les principes qu’il veut défendre. Le libéralisme, veut-il rester libéral, ne permet pas d’exceptions, sinon il applique des règles morales différentes aux uns et aux autres ; il y a un dedans et un dehors, c’est-à-dire au moins deux « communautés morales », en conséquence pas de libéralisme pour tout le monde, mais un « communautarisme libéral », une communauté pour laquelle les règles libérales s’appliquent, et au moins une autre communauté pour laquelle ces règles ne sont pas valables. C’est ce qui se passe souvent en réalité. C’est d’ailleurs la cause principale de la crise actuelle, notamment en Suisse, des partis politiques qui revendiquent les valeurs libérales. Après une longue période où le libéralisme (« radicalisme ») fut moteur de progrès social, il est à craindre que s’impose désormais comme seule forme de libéralisme le libéralisme des propriétaires, l’ultralibéralisme, qui n’est pas un libéralisme « radical », comme dirait John Dewey (« Le public et ses problèmes » 1927 ; Farrago, Pau 2003), mais un « communautarisme des propriétaires », propriétaires pour lesquels s’appliquent d’autres règles que pour les non-propriétaires. Indice « communautariste » est le fait que ce libéralisme se protège tout de suite quand il est menacé par des nouveaux propriétaires (par exemple des pays du « Tiers monde ») et qu’il tombe dans toutes sortes de protectionnismes. Il est aussi révélateur que les anciens défenseurs du libéralisme radical s’allient de plus en plus avec la droite conservatrice qui est, elle, tout particulièrement dans le social, très communautariste.

Je reconnais que la critique du libéralisme réel que je mène risque d’entacher les valeurs qu’il défend, ce qui n’est nullement mon intention. Au contraire, mon projet à plus long terme serait de promouvoir celles-ci de sorte qu’elles s’appliqueraient à tout le monde, aussi à ceux et celles qui en sont privés actuellement, notamment les personnes mentalement handicapées et sous tutelle (« interdits » selon le Code civil suisse). En elles nous avons la pierre de touche et la pierre angulaire pour tout système moral et toute pensée libérale. Chaque éthique et chaque politique doit faire sa preuve face aux personnes les plus démunies et les plus fragiles. Si l’approche libérale ne tient pas devant elles, elle ne tiendra pas non plus face à toute autre personne. Ici j’applique le principe de falsification des sciences exactes et expérimentales ou du rationalisme critique d’un Karl Popper (Karl Popper, Logik der Forschung, Tübingen 1976).

Armin Kressmann

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